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plus littéraires et plus mondaines, et l’on a pu en extraire un bon nombre de pages de ce genre qui peuvent aller de pair avec les meilleurs morceaux de La Bruyère. Massillon, moins chrétien encore, et déjà inspiré, sans le savoir, par la philosophie du XVIIIe siècle, analyse et amplifie les idées dans le Petit Carême, comme il le ferait dans un discours de rhétorique. Mais Bossuet, au contraire, avait trop conscience de ses devoirs ecclésiastiques pour les négliger un seul instant. Jamais il n’oubliait qu’il était là pour prêcher Jésus-Christ crucifié. Que si, dans Pascal, la philosophie et la littérature se mêlent à la religion, c’est que Pascal était un homme du monde et non un évêque. Malebranche écrit en savant et en philosophe, il est donc moins tenu à faire œuvre d’orateur chrétien ; et, quant à Fénelon, s’il paraît plus humain et s’il nous plaît davantage, c’est peut-être au détriment de son autorité chrétienne. Mais Bossuet n’a jamais rien mis en. balance avec les devoirs du sacerdoce et de l’épiscopat.

Lui-même semble avoir prévu et voulu de jouer d’avance la tentation qui nous avait traversé l’esprit et la pensée d’en faire un moraliste profane séparé du moraliste chrétien. En s’adressant à ses auditeurs, trop disposés déjà à faire ce partage, il nous a réfuté d’avance, de ce ton qu’on connaît, et qui ne semble laisser place à aucun milieu entre la révolte et la soumission. « Mais quoi! s’écrie-t-il, on ne m’entend plus. Tu m’échappes, auditeur distrait. On nous entend quelque temps, pendant que nous débitons une morale sensible ou que nous reprenons les vices communs du siècle; l’homme, curieux de spectacles, s’en fait un, tant il est vain, de la peinture de ses erreurs, et il croit avoir satisfait à tout quand il laisse censurer ce qu’il ne corrige pas. Quand nous en venons à ce qui fait l’homme intérieur, c’est-à-dire à ce qui fait le chrétien, à ces désirs du règne de Dieu, à ces tendres gémissemens d’un cœur dégoûté du monde et touché des biens éternels, c’est une langue inconnue! »

Maintenant, après avoir rétabli la vérité des choses et dissipé tout malentendu sur la vraie pensée de Bossuet, sera-t-il interdit néanmoins aux lecteurs profanes de séparer, pour un moment, la morale humaine de la morale théologique? On sait que, pour Bossuet, l’une n’est rien sans l’autre : l’une est soutenue par l’autre ; mais s’il est permis d’extraire des morceaux choisis des auteurs chrétiens ; si, pour orner l’esprit de la jeunesse, on permet de laisser à l’église le soin de la foi pour introduire dans l’école des modèles d’éloquence, pourquoi n’y aurait-il pas aussi une morale choisie, qui d’ailleurs ne pourrait jamais être complètement déchristianisée, car ce serait impossible, mais qui, cependant, s’étendrait