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appropriée à des conditions spéciales, auxquelles il répond admirablement.

Les mosquées de Fès n’ont pas de coupoles, mais de simples toits en pente, parfois formés de tuiles vertes qui brillent à midi comme du verre incandescent. Si je voulais les comparer à celles du Caire, ce serait encore une grande infériorité à constater. Extérieurement d’ailleurs, la comparaison serait impossible, car à part les minarets, les mosquées de Fès, je le répète, n’existent qu’à l’intérieur : au dehors, leurs murailles sont absolument nues ; elles n’ont aucune espèce de façade, aucune fenêtre, rien qui indique que ce ne sont pas des maisons ordinaires. Peut-être ce qu’il va de plus beau comme architecture, à Fès de même qu’à Constantinople, est-ce l’enceinte ruinée qui entoure la ville. Elle se compose d’un grand mur crénelé flanqué de distance en distance de tours carrées également crénelées. Ces créneaux se terminent par une petite pyramide tronquée. Tout cela, au premier aspect, est assez ordinaire; mais ce vieux mur est creusé de si étonnantes lézardes, ces tours à moitié éboulées sont parfois si étranges, une végétation si touffue court le long de ces débris amoncelés, que l’ensemble en est d’une puissante et saisissante poésie. D’ailleurs, cette enceinte de Fès, qui donne à la ville l’aspect d’une cité du temps des croisades, est percée de portes monumentales, d’un style magnifique et original. Elles sont disposées, comme à l’entrée des écoles et des mosquées, en carré formant un superbe vestibule par lequel on pénètre dans les rues principales. Pour avoir une idée exacte de Fès, il est bon de suivre la partie de cette enceinte qui monte au nord sur des collines d’où l’on domine toute la ville. Il y a là un vieux fort qui est censé la défendre. Sur la colline en face, de l’autre côté de la vallée, s’élève un autre fort qui a la même prétention. En réalité, comme ils sont surplombés de tous côtés par des hauteurs, ils tomberaient sous quelques coups de canon. Les sultans ne s’en servent que pour tirer sur Fès, quand il prend à celle-ci fantaisie de se révolter. Mais le fort du nord, ou plutôt les restes d’un palais mérinide situé à côté de lui, forment un observatoire singulièrement bien placé d’où le regard embrasse les deux villes, Fès Djédid et Fès- Bali, et l’ensemble du pays environnant. C’est un splendide panorama. Fès, bâti sur le versant de plusieurs coteaux et descendant avec sa rivière jusque dans la vallée où coule cette dernière, montre à l’œil ébloui l’entassement de ses maisons. L’amoncellement est si épais qu’on ne peut distinguer la trace d’aucune rue. De ce fouillis confus s’élèvent de nombreux minarets qui dressent dans l’espace leurs flèches surmontées de trois boules d’or, auxquelles, aux heures des prières, s’ajoute une oriflamme. Les toitures vertes et luisantes