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et nous en sommes revenus ainsi sans entendre une parole, sauf celles que nous prononcions nous-mêmes pour nous communiquer l’impression que cette scène fantastique produisait sur nous.

J’ai trouvé depuis le peuple de Fès un peu moins silencieux ; toutefois, lorsque je me rappelais le vacarme qui s’élève sans cesse du Caire et qu’on entend du haut de la montagne du Mokatam, qui domine la ville, comme le bruit incessant de la mer venant battre le pied d’une falaise, je ne pouvais m’empêcher d’être surpris du grand calme de Fès. Dans notre jardin, qui surplombait plusieurs quartiers populeux, nous n’étions jamais troublés par la moindre rumeur. Dès que nous paraissions dans une rue, en plein jour comme la nuit, les conversations restaient suspendues, et c’est à peine si, de loin en loin, le cri de quelque marchand d’eau, de quelque vendeur à la criée, interrompait le silence universel. Lorsque nous nous arrêtions dans les bazars pour regarder quelque objet, aussitôt la foule se portait autour de nous ; peu à peu elle nous entourait, elle nous pressait, elle se collait à nous, mais cela sans bruit, sans bavardage, sans rien qui rappelât les démonstrations exubérantes des Orientaux. On nous contemplait, et c’était tout. Les marchands n’éprouvaient pas le besoin, comme ceux du Caire, de Damas et surtout de Constantinople, de nous interpeller pour nous engager à faire de longues poses devant leurs boutiques; encore moins nous y invitaient-ils, comme ceux-ci, en nous offrant des tasses de thé ou de café; si nous voulions de notre plein gré faire des achats, ils nous répondaient poliment, mais froidement. Quand nos soldats bousculaient les passans, ceux-ci se laissaient faire sans protester. Et ce n’était pas seulement notre présence qui répandait partout une si grande tranquillité. Les habitans de Fès ne sont pas naturellement bavards. Si leur ville est inquiète, mécontente, frondeuse, elle n’est point tapageuse. Il y règne en apparence un calme profond. Au premier abord, on la trouve même triste. Les maisons, comme je l’ai dit, y sont très élevées, et les façades qui donnent sur les rues sont de simples murs droits, sans aucun ornement extérieur, presque sans aucune ouverture, percées seulement de loin en loin de toutes petites fenêtres qui ressemblent à des trous. Ici, rien ne rappelle les mille décorations de l’architecture du Caire ; il n’y a ni encorbellemens, ni moucharabiehs, ni moulures d’aucun genre. On est sans cesse entre deux murailles de prison, extrêmement hautes, et de plus fort sombres, car on comprend que le climat de Fès noircisse assez vite les constructions. La seule chose qui charme, ce sont ces légers arceaux, dont j’ai parlé, et qui vont d’une maison à l’autre, au-dessus