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fait une odeur nauséabonde ; et enfin on peut jusqu’à un certain point assimiler la frayeur que cause l’attente d’un examen, par exemple, au sentiment que l’on éprouverait en se voyant poursuivi par un lion. Certes, dans toutes ces émotions, les causes sont bien peu semblables ; mais l’effet psychique est à peu près le même ; aussi le langage, fidèle interprète de la vérité psychologique, emploie-t-il pour ces émotions diverses les mêmes expressions : douleur, dégoût et peur.

Ni les unes, ni les autres ne se peuvent définir. Peut-être même y aurait-il quelque inconvénient à vouloir à tout prix formuler une définition quelconque. Rien n’est plus clair dans l’esprit de chacun que les mots douleur, dégoût et peur : c’est pourquoi toute périphrase imaginée pour désigner ces sentimens sera inutile, à moins qu’elle ne contienne une théorie ; auquel cas elle serait dangereuse. Donc nous ne chercherons pas à définir la peur.

Il y a au mot peur des synonymes qui ne représentent pas tout à fait la même idée ; crainte, effroi, terreur, épouvante, horreur, frayeur et peur ne signifient pas absolument la même émotion. La peur est le mot le plus compréhensif, le plus général ; on l’emploie au propre comme au figuré, et on peut la concevoir à tous les degrés, depuis une légère émotion jusqu’à une émotion extraordinaire ; la crainte est le même sentiment que la peur, mais c’est de la peur mitigée, tempérée ; la crainte est souvent légitime, tandis que la peur, irréfléchie et aveugle, ne l’est pas. Dans l’échelle des émotions de la peur, la crainte représente la peur la plus petite, et celle qui se justifie le mieux. La frayeur est de la peur, et une peur très forte, accompagnée d’un certain degré d’affolement, d’ahurissement : aussi est-elle parfois comique et ridicule ; tandis que l’effroi, quoique son étymologie soit la même que celle du mot frayeur, indique une peur très violente aussi, mais qui semble accompagnée de stupeur plutôt que d’affolement. L’effroi fait qu’un homme reste muet, glacé, immobile, tandis que la frayeur le forcera à s’enfuir, haletant, éperdu. L’épouvante est un mot poétique, qui, comme le mot terreur, indique le plus haut degré de la peur. Quant à l’expression horreur, c’est aussi de la peur, mais cette peur est provoquée par un objet répugnant, horrible, ou bien elle s’accompagne d’un sentiment religieux vague, dans le sens que les anciens attachaient au mot horror.

Certes il y a quelque subtilité dans l’analyse de ces expressions : et en effet le langage commun confond ces synonymes plus que nous ne semblons le faire ici[1]. Mais il y a cependant quelque

  1. Combien de fois n’emploie-t-on pas le mot peur dans un sens tout à fait détourné de son sens véritable ? Ainsi on dit qu’on a peur de la pluie, ou qu’on a peur de manquer le train, ou qu’on a peur de se tromper d’adresse. Ces peurs-là n’ont rien à faire avec la peur physiologique. C’est une extension de plus en plus grande du mot