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de l’après-midi, écrit Du Cause, « on vit sortir de la Bastille le chevalier de Rohan, monté sur un chariot, un confesseur à son côté avec l’exécuteur, marchant lentement, entouré de gardes à cheval et de gardes françaises et suisses. La majorité du public avait pitié du condamné. Rohan paraissait triste et abattu. La vue de cette foule prodigieuse le troubla. Il rougit de honte, ce qui releva encore la beauté naturelle de ses traits. Lorsqu’il fut monté sur l’échafaud et qu’on eut découvert à plein sa riche taille, à l’air de majesté qui régnait sur toute sa personne, relevé par un grand éclat de jeunesse, il n’y eut point de spectateur assez dur, ni assez insensible qui pût lui refuser des larmes. Il se mit à genoux pour demander pardon à Dieu, au roi et à la justice, et s’étant encore tourné un moment vers son confesseur pour recevoir la dernière bénédiction, pendant que le peuple mêlait ses sanglots aux tristes chants qui précèdent l’exécution des criminels, il eut la tête tranchée. »

Mme de Villars fut ensuite amenée. « Elle porta, nous dit le précédent informateur, jusque sur l’échafaud, les marques de sa vanité et de sa coquetterie. Elle était fardée, parée de ses plus beaux atours, comme pour braver la mort; mais lorsqu’elle aperçut les traces de l’exécution qui venait d’être faite, elle donna plusieurs marques de faiblesse. » Le procès-verbal déclare pourtant qu’elle prit part elle-même au chant du Salve Regina qui précédait l’exécution de chacun des condamnés. Sa tête fut emportée d’un seul coup, comme cela avait eu lieu pour le chevalier de Rohan. En ce moment, le chevalier d’Aigremont, qu’on n’avait point extrait de sa prison à la Bastille et qui se doutait que l’exécution des condamnés allait avoir lieu, parvint, à l’aide d’un petit échafaudage qu’il avait dressé dans sa chambre, à atteindre la hauteur d’une demi-fenêtre donnant de cette chambre sur la rue Saint-Antoine, là où avaient été élevés les échafauds, et jetant les yeux sur le triste spectacle qui s’offrait devant lui, le premier objet qui se présenta à son regard, fut la tête de Mme de Villars que venait de faire rouler le bourreau. « Son effroi fut tel, dit Jean Rou, qui rapporte le fait, qu’il tomba de son échafaudage, presque aussi mort que la belle défunte qui régnait uniquement dans son cœur. Il se releva néanmoins, après quelques momens de défaillance, et je l’ai ouï plusieurs fois faire, et à moi et à d’autres, la description de ce funeste spectacle, plus d’un an après l’affaire passée, avec de si étranges émotions que les syncopes de son esprit attaqué le replongeaient aussitôt dans les mêmes égaremens qui l’avaient si fort dérangé[1]. »

Le chevalier de Préau, qui fut exécuté après Mme de Villars, montra

  1. Mémoires de Jean Rou, t. I, p. 68 et 69.