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et mettre fin aux entreprises des sujets rebelles. Huit jours s’écoulèrent dans ces incertitudes. Enfin, Louis XIV, vivement pressé par ses ministres, consentit à ce que l’arrêt de mort fût exécuté et l’on donna immédiatement les ordres pour que l’exécution s’accomplît dès le lendemain. On tenait à l’entourer d’un grand appareil, de nature à faire impression sur les esprits.

Le récit de La Fare sur ces diverses circonstances est d’accord avec les autres témoignages du temps. « Le roi, à ce que j’ai ouï dire, écrit-il en parlant de Rohan, fut tenté de lui faire grâce de lui-même. Le Tellier et Louvois lui représentèrent que, dans la conjoncture présente, un exemple était nécessaire et qu’il n’en pouvait faire un grand à meilleur marché, puisque le chevalier de Rohan était d’une grande naissance, et cependant sans suite et sans amis, mal avec sa mère et tous ceux de sa famille, dont aucun n’osa se jeter aux pieds du roi. Cela fut trouvé fort mauvais dans le public. On blâma fort sa mère et sa parente, Mme de Soubise, qui était en ce temps-là fort bien avec le roi, à ce qu’on prétendait, quoique leur commerce fût caché. Mme de Montespan, comme je l’ai dit, maîtresse du roi déclarée depuis longtemps, fut chargée du même blâme dans cette occasion, et ce n’est pas la seule où elle ait montré un cœur dur, peu sensible à la pitié et à la reconnaissance. »

Tout fut préparé pour que le supplice eût lieu sur la place qui s’étendait au-devant de la Bastille. Beauvau rapporte-dans ses Mémoires « que le chevalier de Rohan avait espéré qu’en raison de sa qualité, on l’exécuterait secrètement à la Bastille. Il demanda, après la lecture de son arrêt, si l’on n’y avait pas dressé un échafaud ; le père Bourdaloue, qui l’assistait, lui ayant dit que non et qu’il fallait se résoudre à mourir publiquement dans la rue, il répondit : « Tant mieux, nous en aurons plus d’humiliation. »

Quoique le chevalier de Rohan eût déclaré, quand il sut qu’il devait recevoir la mort, qu’il pardonnait à ses ennemis, il ne put dissimuler son ressentiment contre ceux qui l’avaient entraîné dans le complot. Il s’en prenait surtout à Van den Enden, qui avait eu la première idée de la fatale entreprise, et, si l’on en croit Beauvau, il aurait dit au médecin flamand qu’il était le plus méchant homme qui eût jamais été. Il fit également de durs reproches au chevalier de Préau et à la dame de Villars, pour avoir travaillé, sans le connaître, à l’engager dans l’affaire, déclarant que leurs démarches imprudentes avaient contribué à le perdre.

Le chevalier de Rohan fut assisté dans ses derniers momens, par deux jésuites, le père Bourdaloue[1], l’une des gloires de la chaire

  1. C’était à la demande de la princesse de Guémené que ce célèbre prédicateur avait été accordé pour confesseur à son fils, le chevalier de Rohan.