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Le chevalier de Rohan, avec la violence habituelle de son caractère, se livra, dans les premières heures qui suivirent son arrestation, à de furieux emportemens. Selon Beauvau, mieux informé que La Fare da toute cette affaire, le chevalier menaça, tellement ceux qui l’interrogeaient, qu’on dut lui mettre les fers et le placer sous la garde de dix soldats, afin de l’empêcher d’attenter à sa vie ou de briser ses chaînes. Rohan s’abandonna à de violentes récriminations contre Louvois, auquel il reprochait de lui avoir préféré des officiers lâches et sans mérite ; mais il n’osa pas reproduire contre le roi le langage qu’il avait tenu à ses complices. Comme il espérait obtenir sa grâce de Louis XIV, il protesta de son dévoûment à ce monarque et dit bien haut qu’il était prêt à donner sa vie pour son roi, rappelant, en même temps, les grandes actions qui avaient illustré sa famille. Dans les plaintes qu’élevait le chevalier de Rohan au sujet des injustices dont il soutenait avoir été victime, il accusait surtout M. de Sourdis de l’avoir perdu[1]. Tout entier à ses reproches, qu’il faisait en termes grossiers et parfois obscènes, Rohan ne fit pas attention, nous apprend Du Cause, à la nouvelle que lui donna, en l’interrogeant, M. de Pommereu, de la mort de Latréaumont. Il aurait pu tirer grand parti, pour sa défense, de cet événement, lequel lui permettait de mettre tout sur le compte d’un homme qui n’était plus là pour le contredire. Le chevalier finit cependant par se calmer, et, assure Beauvau, il devint doux comme un agneau et sollicita quelque secours spirituel. « Après avoir tout nié, écrit La Fare, qui remarque, comme Du Cause, que le chevalier de Rohan ne sut pas tirer parti de la mort de Latréaumont pour sa propre défense, il avoua sottement tout à Bezons, qui lui arracha son secret en lui promettant sa grâce, action indigne d’un juge ! » s’écrie le même La Fare. Elle était conforme aux agissemens de celui qui avait engagé Du Cause à porter un faux témoignage contre le marquis d’Ambre, Quoiqu’on condamnât presque universellement la conduite du chevalier de Rohan, il appartenait à une maison si illustre, il avait eu naguère tant de succès à la cour, qu’il ne pouvait manquer de rencontrer de la compassion. Beaucoup de personnes, au dire de Du Cause, se remuèrent pour le sauver et pour agir sur le roi et son ministre. Ceux qui s’intéressaient au chevalier étaient mus autant par la haine qu’inspirait Louvois que par la pitié. La famille de Rohan, voulant montrer qu’elle désavouait entièrement le coupable, ne tenta aucune démarche ; cependant la princesse de Soubise était alors très en faveur auprès de Louis XIV. A ceux qui voulaient sauver le chevalier, par un sentiment d’humanité, s’ajouta un

  1. Le chevalier de Rohan accusait Sourdis de s’être attribué, au retour de la guerre, tous les mérites qui revenaient à lui et à Fonvilles.