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parmi ceux qui prirent part aux conciliabules, le marquis d’Ambre, brave officier gascon, qui était ami de Turenne et que détestait Louvois. L’honnête Du Cause eut horreur d’une telle proposition; mais, prudemment, il se borna à dire qu’il ne connaissait pas ce gentilhomme, dont il était au contraire l’ami, qu’il pourrait être reproché par lui comme faux témoin, s’il faisait une pareille déclaration. Par crainte du ressentiment de Louvois, il évita de rien dire au marquis d’Ambre, qui, d’un caractère vif et emporté, aurait pu aller récriminer près de celui-ci. C’est qu’on redoutait alors terriblement le ministre, qui pourtant, de son côté, n’était pas sans appréhension des dénonciations que l’on pouvait faire au roi contre lui. Lorsque Du Cause eut été confronté avec le chevalier de Rohan, qui, dans le principe, ne voulait rien avouer et se répandait en accusations contre Louvois, ce dernier enjoignit au pensionnaire de Van den Enden de ne rien répéter de ce que le chevalier avait dit en sa présence.

Du Cause n’obtint pas, à beaucoup près, la récompense qu’on lui avait fait espérer, pour le service par lui rendu à l’état. Tout se borna à une pension de 1,000 livres que lui accorda le roi. Il rapporte dans ses Mémoires que Louvois ne lui pardonna jamais de s’être refusé à perdre le marquis d’Ambre. Il fut en butte au ressentiment du ministre, qui aurait même tenté, si on l’en croit, de le faire tuer par des spadassins. Pellisson, qui connaissait Du Cause, jugeait Louvois capable d’un tel coup, et il engagea le jeune gentilhomme à se retirer en Agénois, ce qu’il fit. Mais la rancune ministérielle vint encore l’y poursuivre ; il fut la victime des ennemis qu’on lui avait suscités. Arrêté, nous ne savons sous quel prétexte, il fut enfermé, pendant cinq ans, dans un cachot, au Château-Trompette, à Bordeaux, et il faillit y mourir de maladie. Sa femme, Mlle Anceau, la jeune personne qu’il aimait et dont il avait finalement obtenu la main, réussit, après bien des démarches et à grand’peine, à faire prononcer son élargissement. Mais il fut enjoint à Du Cause de rester dans sa province et de garder le silence sur le traitement qu’on lui avait fait éprouver.

Les preuves du complot que le jeune officier avait dénoncé étaient si claires, qu’il était impossible aux principaux prévenus de soutenir qu’on les accusait faussement. D’ailleurs, comme il a été dit plus haut, Van den Enden avait tout confessé dès qu’il s’était vu pris. Interrogé de nouveau, il avoua que son gendre Kerkerin était venu à Paris, mais il nia certains faits dont on chargeait l’accusation; il prétendit que Kerkerin ne s’était pas entendu avec le chevalier de Rohan et Latréaumont, qu’il n’avait vus qu’en passant, et que le chiffre de correspondance trouvé sur la table était destiné non à la conspiration, mais au service du roi.