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Balance. Le lundi 17 septembre, quand Van den Enden débarqua à Paris, il y avait déjà trois jours que le chevalier de Rohan et le chevalier de Préau étaient à la Bastille. Le médecin flamand se rendît à sa maison de Picpus. Du Cause s’y trouvait encore comme pensionnaire, observant tout, pour obéir aux instructions de Louvois. Voici ce qu’il raconte dans ses Mémoires : « Sur l’heure de midi, comme nous étions sur le point de nous mettre à table. Van den Enden entra dans la salle, d’un air fort riant, avec son sac de velours sous le bras, content de l’heureux succès de sa négociation. Sa femme, aux oreilles de laquelle la nouvelle des arrestations était arrivée, et qui soupçonnait son mari d’être mêlé à tout ce complot[1], pâlit à son aspect et demeura interdite, sans pouvoir répondre à ses caresses. Il aurait pu, dès lors, s’apercevoir du péril qui le menaçait; mais, aveuglé par ses projets, il n’y fit aucune attention. Il nous pressa de laver les mains, et, passant pour cela dans le vestibule, nous le suivîmes. Après qu’il eut lavé, il repassa dans la salle, où sa femme était restée. Je demeurai quelque temps dans le vestibule, pour penser à ce que j’avais à faire. Un instant après, étant rentré, je ne le trouvai plus, et, l’ayant demandé, personne ne voulut me répondre. Je sortis pour le joindre, sous prétexte que j’avais à lui parler; mais, quelque perquisition que j’eusse pu faire dans toute la maison et au dehors, je ne pus l’apercevoir nulle part. »

Du Cause, auquel on avait enjoint de ne pas quitter Van den Enden, une fois qu’il l’aurait rencontré, fut très déconcerté de voir que celui-ci lui avait échappé. Il sortit précipitamment de la maison de Picpus, et, croisa sur sa route le carrosse d’un conseiller au

  1. d’après-les réponses que fit Van den Enden dans ses interrogatoires, ce serait par sa fille, Mme Dargent, qui logeait chez lui, à Picpus, qu’il aurait été informé, à son arrivée, de la découverte du complot. Elle lui aurait appris que M. de Rohan était arrêté et qu’on disait qu’un Hollandais était cause de tout cela. Sur ce, toujours d’après sa déposition, il aurait demandé ses souliers et s’en serait allé sans bruit à Pantin, sa femme n’étant pas en ce moment chez lui; le lendemain mardi, il serait allé entendre la messe dans l’église des Pères-de-la-Mission-de-Saint-Lazare, au faubourg Saint-Laurent, où sa femme se serait rencontrée fortuitement; ils se seraient ensuite rendus jusqu’au Bourget, où ils couchèrent. Il y fut convenu que Catherine, femme de Van den Enden, viendrait à Paris, pour retenir une place au coche de Bruxelles et qu’elle achèterait un habit de toile de paysan, qu’elle le lui apporterait au Bourget et que, de là, elle prendrait le coche en passant; ce qu’elle fit, ayant le même jour, mercredi, vers midi, rapporta l’habit avec lequel Van. den Enden pensait pouvoir, petit à petit, se retirer en Flandre, tandis que sa femme irait à Bruxelles par le coche, mais dans le temps qu’elle attendait le passage du coche, environ les quatre heures de l’après-midi, son mari fut arrêté avec elle et conduit à la Bastille. Les réponses données par Catherine Medaëns, dans son interrogatoire, s’accordent avec cette relation. Peut-être s’était-il fait quelque confusion dans les souvenirs de Du Cause.