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plus de part dans leur destinée que la justice ou l’injustice de la cause qu’ils soutiennent et qu’il n’y a dans ce monde, à proprement parler, point de mauvais gouvernemens, qu’il n’y a que de mauvais ou de bons gouvernans. Les aventuriers italiens, les condottieri du XVe et du XVIe siècle, qui avaient de l’audace et du jugement, venaient facilement à bout des princes légitimes. Les monarchies sont prospères et victorieuses lorsque les rois sont vigilans, instruits de leurs affaires, appliqués à leurs devoirs et qu’ils accordent leur confiance à un ministre de grand sens et à des généraux experts dans leur métier. Les empires essuient des désastres quand ils ont à leur tête un souverain à la fois entreprenant et inappliqué, joignant aux intentions généreuses l’inquiétude de l’esprit et l’aveugle fatalisme d’un joueur. Les républiques peuvent devenir redoutables à leurs voisins quand elles savent se conduire ; elles se condamnent à une existence inglorieuse ou s’exposent à de cruelles mésaventures lorsqu’elles deviennent la proie de factions qui sacrifient les intérêts de l’état à leurs appétits ou à leurs colères. Tel fut le sort des Gantois après la mort de Charles le Téméraire. Tout entiers à la joie de s’appartenir, de n’avoir plus de seigneur, de ne plus sentir le poids de la main dure qui les tenait, « il leur sembla qu’ils étoient échappés, » comme le dit Commines dans sa langue nerveuse et pittoresque, et ils se laissaient gouverner « par de très déraisonnables gens. » Louis XI avait beau jeu, et déjà il assiégeait Arras, Hesdin et Boulogne : « Il ne leur en chaloit guère, car ils ne pensoient qu’à leurs divisions et à faire un monde neuf et ne regardoient point à plus loin. »

L’illustre historien qui vient de mourir se flattait, dans les derniers mois de sa vie, que désormais le cours des choses avait changé, que la révolution ne se relèverait jamais de ses défaites, que les monarchies légitimes, demeurées maîtresses du terrain, n’avaient plus rien à craindre, qu’il y a des sentences dont on n’ose pas appeler. Si verte que soit sa vieillesse, un nonagénaire sent le besoin du repos, et il se persuade facilement que, comme lui, le monde est las et ne demande qu’à dormir. Il dirait volontiers ; « La pièce est jouée, le spectacle est fini ! » Mais rien ne finit. À peine tombé, le rideau se relève, et, que la pièce soit bonne ou mauvaise, la représentation continue.


G. VALBERT.