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formule plus large que tous les cultes pouvaient accepter sans se compromettre ; il a rêvé, nous dit M. Duruy, un rapprochement des âmes qui, en l’état où se trouvait son empire, aurait été fort souhaitable ; « il aurait voulu réunir ses peuples dans une même croyance, dont les formes pouvaient changer, dont le fond serait le culte du Dieu unique. »

Voilà, je le crains bien, un Constantin de fantaisie, qui ne ressemble guère à celui de l’histoire. Ce n’est pas ainsi que les contemporains nous le dépeignent ; et dans ses écrits, comme dans ses actions, il se montre à nous sous des traits bien différens. Ayons le courage, dans le portrait que nous nous faisons de lui, de ne pas chercher trop de finesse et de nouveauté ; détachons-nous de tous ces tableaux séduisans qui sont tracés d’après nos opinions ou nos préjugés, et qui en font un personnage de notre époque ; replaçons-le dans son milieu et dans son temps. C’était un homme de bon sens qui, venu après une persécution sanglante et inutile, a bien compris que, puisqu’il n’était pas possible de supprimer violemment les religions, il fallait trouver un moyen de les faire vivre ensemble. Il a promulgué le plus ancien édit de tolérance que le monde ait connu ; il a dit le premier, dans un document législatif, « que la religion ne doit pas être imposée, et qu’il faut laisser à tout le monde la liberté absolue de pratiquer celle qu’il préfère : n c’est un grand honneur pour sa mémoire. J’avoue que je lui en saurais moins de gré si l’on pouvait établir qu’il n’était qu’un sceptique : il est si facile de souffrir toutes les doctrines, quand on n’en professe aucune soi-même ! Mais je pense au contraire que c’était un croyant. Il m’est impossible d’être de l’avis de M. Duruy, qui suppose que sa religion se réduisait « à un théisme honnête et tranquille. » Dans les dispositions d’esprit où ses écrits le montrent, il ne lui aurait pas suffi de croire, comme les déistes, à un Dieu confus et lointain, auquel sa grandeur même interdit de s’engager trop dans les affaires humaines. Il avait des opinions bien différentes. En écrivant aux évêques, peu de temps après sa conversion, il confessait que, dans les premières années de son règne, il avait manqué quelquefois à la justice, « parce qu’il pensait que les secrets de son âme échappaient aux regards de Dieu. » Évidemment il s’était guéri de cette erreur quand il parlait ainsi. Il se croyait alors sous les yeux d’une divinité vivante et présente ; il la sentait toujours auprès de lui, il voulait lui plaire, il avait peur de la mécontenter, et nous verrons qu’il pensait être l’objet de ses faveurs particulières. Ce ne sont pas là les sentimens d’un déiste « honnête et tranquille, » mais ceux d’un véritable dévot. J’ajoute même que ce dévot est fort souvent un superstitieux. Supérieur par quelques côtés seulement aux hommes de son époque, il subissait d’ordinaire leurs préjugés