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donner bien des coups avant d’être obligé de renforcer son appendice. Et s’il en est autrement, c’est qu’il sera mal fait.

« L’auteur de cette machine de guerre qui mit un soin si étudié à la faire puissante, et dont le nom revient lorsqu’il s’agit d’une création dans l’architecture navale, ne concevait de ce côté aucune crainte, et dans son esprit, ce n’était pas un engin fait pour un coup unique.

« Quant à la masse qui ne serait suffisante qu’autant qu’elle égalerait celle des plus grands cuirassés, est-il bien nécessaire de répondre à cette objection, bien qu’elle ait été imprimée ? L’homme met un grand effort à construire des canons assez résistans pour lancer 1,000 kilogrammes de fer ou d’acier, et on admet sans peine que ce projectile, lorsqu’il atteint le but, y cause de terribles ravages. L’éperon porté par le bélier, c’est un projectile sous-marin de 3 millions de kilogrammes, que la machine lance, dont l’affût est la mer, et que l’assaillant dirige à 1 mètre près sur la muraille qu’il doit détruire. Le bélier qui emploie toute sa force destructive reste une arme terrible, car elle est sous-marine ; mais sa force n’est pas seulement dans sa masse, elle est dans l’invulnérabilité de sa machine, de sa barre et dans la protection de la pensée qui le conduit à son but. »

J’avais cité des faits, et je pus comprendre qu’ils avaient produit quelque impression. Il est peu probable que mon interlocuteur eût soutenu la suppression de l’éperon, s’il eût repris le pouvoir, comme il en fut question à cette époque.

Les deux hypothèses que nous avons admises nous ont placés en face d’un ennemi dont le matériel naval était visiblement inférieur. Il en est une troisième qu’il faut savoir admettre ; c’est le cas de la lutte à forces égales, et c’est par les conséquences qu’elle entraîne que nous allons clore cette étude de la guerre sur mer.

Lorsque les deux champions à assiette invariable, à organes protégés, doués de la mobilité que leur donnera l’allégement de la masse flottante, se seront canonnés, entre-choqués et éventrés sans modifier sensiblement leur allure de combattans ; — si l’un d’eux ne parvient pas à atteindre son adversaire dans le gouvernail ou dans l’hélice ; si par quelque coup double il ne renouvelle pas l’attaque sous-marine sur un point déjà atteint et où les ravages parviendront alors au cœur du bâtiment, il faudra cependant en finir : ce sera donc l’abordage. Nous n’aurons pas à nous plaindre de voir revenir après tant d’idées posées, laissées et reprises sur la guerre maritime, le genre de combat qui valut tant de succès à nos armes.

La nation qui sera placée dans les conditions les meilleures pour se battre sera toujours celle qui rencontrera l’heureuse fortune d’être mise en possession d’un instrument de combat approprié à