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à moins que l’éperon porte un coup droit ou que la torpille fasse explosion deux fois au même point. Quelle force pourra donc arrêter la marche d’un bâtiment de combat qui, ayant tant de chances pour ne pas couler, pourra se placera la distance la meilleure pour envoyer ses projectiles, qui dessinera un coup droit d’éperon et qui lancera sa torpille en choisissant sa distance ?

Ces qualités offensives que nous avons su mettre de notre côté se manifesteront avec autant de vigueur quand il s’agira de forcer un blocus ou un passage tout aussi bien que dans le cas d’une bataille navale. En vérité, la partie n’est pas égale entre deux adversaires dont l’un est si fortement protégé quand l’autre s’est laissé attarder faute de foi ou de clairvoyance.

Voici maintenant la seconde hypothèse, qui nous met aux prises avec une marine qui, rejetant son ancien matériel, a transporté sa force dans des torpilleurs autonomes, des bateaux-canons de 0m,14 et des croiseurs rapides. Nous conservons l’avantage que nous nous sommes donné : nous avons poussé jusqu’au bout, sur notre matériel existant, autant que le caractère de sa construction l’a permis, la protection du volume et des organes.

Les croiseurs rapides de l’ennemi vont porter la ruine sur nos lignes commerciales : ses arsenaux, ses grandes villes de commerce maritimes, ses côtes aux points favorables sont garnis de torpilleurs de petite longueur ; un grand nombre de torpilleurs autonomes et de bâtimens-canons armés de 0m,14 sont prêts à entourer nos cuirassés à protection complétée et les quelques unités nouvelles que nous avons pu mettre à flot. D’après les idées qui ont réglé la composition de son matériel de guerre sur mer, non-seulement les arsenaux de l’ennemi sont inexpugnables, ses côtes sont à l’abri de l’insulte, mais encore ses moyens offensifs rendent certaine la destruction des cuirassés qui lui seront opposés.

La lutte ne se localisera pas dans le bassin de la Méditerranée : ce n’est pas là que se réglera la possession de la route des Indes et de l’Indo-Chine. Le canal de Suez est une route commerciale, une route de paix et non pas une route pour le temps de guerre. Rien ne sera plus fragile que ce passage, et il n’est pas admissible que de grandes flottes aillent se mesurer pour la conquête d’une voie qui sera à la merci d’un chef de parti de vingt hommes et de quelques kilogrammes de dynamite.

Les belligérans, dès l’ouverture des hostilités, reprendront le chemin que leurs prédécesseurs avaient si bien frayé au commencement du siècle : ils passeront le cap et transporteront une partie de l’action dans les mers de l’Inde et de la Chine. Mais la guerre sévira surtout en Europe, et il n’est pas possible d’admettre que les adversaires suspendent leurs coups chez leurs voisins et laissent