Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand il les appuie par des sermens. C’est une question très délicate, dont la solution dépend de l’idée qu’on se fait de lui.

Au premier abord, il ne parait pas que ce soit un de ces caractères impénétrables dont on ne peut pas deviner le secret. Il parlait volontiers ; il aimait à écrire, et il semble que, dans ses lois, dans ses discours, dans ses lettres, on devrait saisir aisément les traits principaux de sa figure. Par malheur, quand nous avons affaire à ces grands personnages, qui jouent les premiers rôles de l’histoire, et que nous essayons d’étudier leur vie et de nous rendre compte de leur conduite, nous avons peine à nous contenter des explications les plus naturelles. Parce qu’ils ont la réputation d’être des hommes extraordinaires, nous ne voulons jamais croire qu’ils aient agi comme tout le monde. Nous cherchons des raisons cachées à leurs actions les plus simples ; nous leur prêtons des finesses, des combinaisons, des profondeurs, des perfidies dont ils ne se sont pas avisés. C’est ce qui est arrivé pour Constantin ; on est tellement convaincu d’avance que ce politique adroit a voulu nous tromper, que, lorsqu’on le voit s’occuper avec ardeur des choses religieuses et faire profession d’être un croyant sincère, on suppose aussitôt que c’était un indifférent, un sceptique, qui, au fond, ne se souciait d’aucun culte et qui préférait celui dont il pensait tirer le plus d’avantages. Burckhardt trouve tout à fait ridicule qu’on se demande quelles sont les croyances véritables d’un ambitieux, « comme si la religion pouvait être quelque chose pour un cœur que dévore la soif de régner[1] ! » et il compare Constantin, se faisant chrétien, au premier consul quand il signe le concordat Ni l’un ni l’autre n’étaient assurément des dévots, que préoccupaient les intérêts du ciel : ils ne songeaient tous les deux qu’à leur pouvoir ou à leur gloire. Voilà l’opinion que, d’ordinaire, on se fait aujourd’hui de Constantin ; seulement quelques historiens, qui lui sont plus favorables, attribuent son indifférence à des motifs plus élevés. Ne se pourrait-il pas, nous dit-on, que ce fût un de ces sages, comme il y en avait alors quelques-uns, qui se mettaient au-dessus de tous les cultes, qui ne voyaient pas de différence notable entre Jupiter et Jéhova, entre Apollon et Jésus, et se plaisaient à les confondre ensemble sous ce nom vague et commode de divinitas qui ne blesse aucune doctrine et peut les satisfaire toutes ? S’il en est ainsi, on ne peut pas dire qu’il se soit converti, c’est-à-dire, qu’il ait passé d’une religion à une autre, puisque toutes les religions lui paraissaient au fond semblables. Il est seulement sorti des limites étroites d’un culte pour trouver une

  1. Voyez la remarquable histoire de Burckhardt, intitulée : Die Zeit Constantin’s, et le dernier volume de l’Histoire romaine de M. Duruy, qui a suivi en général les idées de Burckhardt.