Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le contact de ceux-ci est mortel, et, pour l’éviter, ils invoquent « le sang-froid, l’intelligence, l’habileté de manœuvre, l’artillerie, les hasards de la mer et la fortune de la guerre. » Toute la défense roule sur le degré de navigabilité des torpilleurs, sur la possibilité qu’ils auront, suivant l’état de la mer, d’ouvrir leurs tubes et de lancer les torpilles ; enfin sur le degré de justesse du tir de l’engin. Mais l’idée de la protection individuelle de l’unité de combat est absente ou, si elle se montre, c’est à peine ébauchée et pour fuir en même temps qu’elle apparaît. Il semble qu’il y ait là une sorte de terreur qui ralentit le jeu des facultés, et que le cuirassé, hier encore si puissant, soit devenu aussi inerte qu’un cadavre sur une table d’amphithéâtre.

L’autre camp tient pour un plan qui comprend d’abord deux unités tactiques : le torpilleur autonome, appuyé par quelques bâtimens d’assez gros tonnage qui l’approvisionnent et le bâtiment-canon léger; ensuite des croiseurs de grande vitesse, munis d’une certaine protection. Il diffère essentiellement du premier par la suppression des cuirassés, considérés comme voués à une destruction certaine et remplacés par des unités de peu de relief, de grande vitesse et en grand nombre, c’est-à-dire par l’invisibilité, la vitesse et le nombre.

Il n’est point de méthode plus sûre, pour apprécier la valeur de ces deux organisations de la puissance navale, que de les supposer aux prises avec une force constituée d’après le principe de la flottabilité de combat, considérée comme la base générale de toutes les unités.

Comme nos bâtimens à flot peuvent être complétés dans leur défense, du jour au lendemain, pour ainsi dire, et sans grand effort de temps et d’argent; comme, d’un autre côté, la suppression ou plutôt la mise à l’écart de nos grands cuirassés n’est pas un fait accompli, nous supposerons, par une tendance patriotique bien naturelle qui s’offense même de la défaite en imagination, que la flottabilité de combat, née chez nous, est par nous mise en pratique et que nous prenons position par des résolutions rapides.

Si l’on était en présence d’une table rase, si tout était à créer, voici comment serait établie la flotte destinée, en temps de guerre, à défendre nos côtes, nos ports de commerce et nos arsenaux; capable de forcer un blocus ou un passage et de livrer bataille pour disperser l’ennemi qui voudrait insulter un grand port de guerre ou pratiquer des actes de dévastation sur notre propre sol.

L’armée navale serait constituée à l’image de toutes les armées : elle aurait un fonds de résistance et des élémens plus mobiles. Elle comprendrait les trois armes spécialisées sur des unités qui seraient, les unes des bâtimens armés d’une puissante artillerie, les autres des béliers, les autres enfin des torpilleurs. Elle serait éclairée