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ne saurait convenir partout, on le conçoit, au paysan aisé. Depuis longtemps en Touraine fort ami de son chez-soi, plus qu’autrefois encore, il met au soin de sa maison et de son intérieur une recherche extrême. Presque partout, cette campagne tourangelle nous montre dans les demeures rurales des rideaux blancs aux fenêtres bien fermées, un jardinet avec des fleurs, des meubles de noyer, un lit, une grande armoire, une huche à pain, quelques chaises, une table, le tout maintenu en bon état. On y reçoit l’impression de cette propreté domestique qui est une des qualités du pays tourangeau. On regrette seulement, au point de vue de l’hygiène, que, dans quelques localités, les deux ou trois pièces du rez-de-chaussée ne soient pas assez élevées pour être garanties de l’humidité.

Le logement de l’ouvrier rural ne saurait atteindre au même degré de confortable. Il est rare pourtant qu’il soit misérable, il se proportionne à la situation, qui, dans cette classe, présente aussi ses inégalités. Il m’a paru que la majeure partie de ces petites maisons se louait environ 100 francs quand l’ouvrier rural n’en avait pas la propriété. Or, ce chiffre de 100 francs, qui nous semble si modeste, est le double de ce que met à sa location tel ouvrier agricole dans d’autres provinces, c’est même le quadruple de ce que met un certain nombre de journaliers.


IV.

On peut se demander quelle impression éprouverait un habitant de cette province qui reviendrait au monde qu’il aurait quitté il y a cent ans s’il lui était donné de la visiter de nouveau. Cette impression serait-elle celle d’une décadence? Notre revenant commencerait par se renseigner auprès de ses voisins, qui ne manqueraient pas de lui faire entendre des plaintes parmi lesquelles il en est de trop légitimes. Il apprendrait avec stupeur qu’un mal nouveau, ou plutôt qu’un multiple fléau s’est jeté sur la vigne, a ruiné en France des populations entières, et que, si heureusement il a épargné la Touraine beaucoup plus que d’autres provinces, elle n’est pas aussi sans sujet de plainte. On lui parlerait de mauvaises récoltes, de la baisse du prix des terres et des fermages ; il s’imaginerait d’abord que c’est par comparaison avec les temps qu’il a connus, et il en ressentirait une juste affliction. Bientôt on lui montrerait que c’est par rapport à une situation telle que jamais ni la valeur des terres ni le taux des fermages n’avaient été si élevés à aucune époque de l’histoire, et alors la figure de ce bon Français prendrait un air plus rassuré, et il rappellerait à ses successeurs éprouvés sans doute, mais trop prompts à se décourager, qu’il a connu de bien autres sujets de croire tout perdu. Déjà moins inquiet, il désirerait être plus