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il s’allie à plus d’efforts, et sait même se résoudre aux plus sévères privations chez le petit cultivateur. C’est un des miracles de la petite propriété. Sur cette terre lieta e dilettosa, comme parlait le Tasse, mais rude à ceux qui la cultivent, le paysan tourangeau n’épargne pas sa peine. Nous avons vu, à certains jours, tout ce monde, hommes et femmes, courbés durant de longues heures sur la vigne ou sur le sillon : attitude qui, à force de se prolonger, laisse trop souvent des traces durables; nulle part, peut-être, on ne rencontre plus de ces gens à qui le corps déformé fait donner le nom de ployés dans le langage du pays. D’intrépides travailleuses se tiennent inclinées ou couchées sur la terre, soit pour ramasser l’herbe qui nourrit leur vache, soit pour accomplir telle besogne rustique; vous les voyez se chargeant peu à peu, se relevant avec une pénible lenteur et marchant pliées sous le faix. Au retour, la plupart de ces femmes, presque épuisées de fatigue, ne trouvaient, dans l’année où nous visitions la Touraine, éprouvée par une série de mauvaises récoltes, pour se réconforter, que des légumes cuits sans beurre, et comme boisson l’eau arrosée de quelques gouttes de vinaigre. Les hommes affirment, ce qui n’est pas bien sûr, que ces femmes sont plus résistantes qu’eux-mêmes, explication toujours commode, mais beaucoup paraissent un peu chétives, leur courage les soutient. Le petit cultivateur, peu aisé ou dans les momens difficiles, prend d’ailleurs aussi sa part de privations. Il ne commence pas par prélever, comme le fait trop souvent l’ouvrier des villes, la part du cabaret. On ne doit pas croire d’ailleurs que ces observations expriment la moyenne de l’aisance ; on verra que le niveau général est meilleur, mais il est certain aussi que les occasions d’exercer ces qualités d’application, et de sobriété dans la quantité et la qualité des alimens, sont loin d’être rares pour une partie nombreuse de la classe rurale en Touraine.

L’état de l’instruction et des mœurs dans cette population agricole est assez en rapport avec ce que je viens de dire d’elle d’une manière générale. Elle a mis un peu de mollesse et de lenteur à s’instruire, sans avoir, au même degré que d’autres provinces, l’excuse habituelle des mauvais chemins. Mais les distances étaient quelquefois longues dans cette contrée, où la densité de la population est assez faible. Le département d’Indre-et-Loire figurait au nombre de nos départemens peu lettrés, il y a quelques années seulement, sans que l’on en aperçoive de raison suffisante ailleurs que dans une certaine indifférence apathique de la part des campagnards qui rendait la fréquentation de l’école au moins fort intermittente. Naguère on constatait que le tiers des conjoints ne savait pas signer, et j’ai trouvé une commune, non loin de Tours, dans une partie du pays à laquelle la propriété riche et aisée donne l’air le