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fruitiers, tout se fond avec harmonie dans les tons modérés. Nous trouvons ce pays joli, nos pères le trouvaient beau ; c’était pour eux l’idéal même du paysage. Leur goût était le même quand il s’agissait de juger de la nature, de la littérature et de l’art. C’est bien là, en effet, la campagne comme la sentent et la décrivent La Fontaine et Fénelon. Peut-être se joignait-il dans cette préférence les premières impressions religieuses de l’enfance, qui faisaient du paradis le plus gracieux des jardins. Aussi sont-ils unanimes à voir l’Éden de la France dans ce joli verger. Nous le goûtons encore, nous l’admirons moins, et quelques-uns iraient presque jusqu’au dénigrement, ce qui est injuste. Si nous avons appris à ressentir plus d’enthousiasme pour d’autres beautés, parfois rudes et sauvages, ce n’est pas une raison pour ravaler ces beautés charmantes, d’un agrément doux et pénétrant, assez paisibles et assez variées pour qu’on s’y attache sans jamais s’en lasser. La nature et l’homme s’y ressemblent en ceci que leur vie est animée sans que rien sente l’effort. Il faut bien qu’une certaine suavité d’impression s’attache à cette contrée puisque peu de régions sourient davantage, comme retraite ou comme lieu de villégiature, aux Français et aux étrangers. Le ciel est à l’avenant. Il est quelquefois voilé, rarement noirci par les nuages. La lumière sereine qui en émane a été plus d’une fois l’objet d’observations qui en constatent l’éclat très doux et l’action reposante pour les yeux. Tout le paysage forme un spectacle où tout intéresse, où rien ne trouble et n’absorbe à l’excès. Une telle nature peut manquer de certaines beautés frappantes et grandioses ; on pourrait presque dire d’elle qu’elle n’a pas de défauts.

L’homme en a, mais de supportables, et il a aussi des qualités qu’on apprécie, qualités aimables plus que vigoureuses et hautes. Parlons d’abord de ce qui semble constituer les qualités natives de l’esprit du pays. Peut-être si on en cherchait l’expression dans les personnages les plus éminens qu’a produits la Touraine, serait-on assez embarrassé de savoir s’il y a telle chose qu’on puisse appeler d’une façon incontestable l’esprit tourangeau. On retrouve l’esprit gascon dans Montaigne et même un peu l’esprit normand dans Corneille, l’esprit champenois chez La Fontaine, j’entends dans la mesure où les grands hommes sont de leur province comme ils sont de leur pays. On est frappé, à Tours, par la vue de deux statues au bord de la Loire; l’une est celle de Descartes, l’autre est celle de Rabelais. On peut se demander si l’esprit local ou provincial a son expression dans l’un quelconque de ces deux grands hommes. L’extrême opposition de ces génies à elle seule suffit pour répondre. Le second a sans doute la jovialité et la liberté de juger qui ne sont pas rares dans la province, mais avec une puissance et un