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population. Je consulte le livre trop peu connu et fort instructif, de Moheau, sur la population de la France vers 1778. J’y trouve, en Touraine, dans les campagnes, une naissance indiquée par 23 habitans 2/3 et dans les villes 1 seulement sur 33. Pourtant, outre les mauvaises années qui reviennent, aux approches de 1789, les griefs s’accumulent et éclatent lors de l’assemblée provinciale de la généralité qui réunit la Touraine, le Maine et l’Anjou. Le ton des plaintes et des vœux que nous y trouvons exprimés est amer et véhément ; on s’adresse au roi en termes presque séditieux. Le rapport du bureau de l’impôt attaque les privilèges, dénonce les abus avec la plus grande vigueur ; les inégalités de la taille qui porte sur les terres sont particulièrement signalées dans les termes les plus forts.

Il faut le dire pourtant à l’honneur du pays : la révolution devait commettre peu d’excès dans la Touraine. On n’y remarque guère de violences contre les châteaux et contre leurs possesseurs. Mais si le paysan tourangeau eut la sagesse de ne pas abuser de la révolution pour les représailles, il sut l’exploiter pour ses intérêts. Les changemens opérés profitèrent à la division des terres dans ce pays où abondaient les vastes parcs et les garennes. Les grands domaines furent dépecés, les fameuses bandes noires s’abattirent sur les châteaux. Paul-Louis Courier a fait l’éloge de ces spéculations au nom des avantages de la petite propriété, oubliant un peu cette fois les intérêts de l’art, qui l’avaient tant touché en Italie ; mais l’art ici se présentait sous l’aspect du moyen âge et des souvenirs monarchiques évoqués par M. de Marchangy. — De plus en plus, la masse rurale entre dans la propriété à plein courant. C’était une révolution économique qui allait bientôt trouver des auxiliaires dans les voies de communication, comme elle en trouvait déjà dans la loi de succession. Nous verrons tout à l’heure ce qui en résulta pour le développement agricole, l’accroissement de la valeur des terres, et, somme toute, pour l’augmentation de l’aisance générale.


II.

Après ce rapide aperçu historique, et avant de décrire l’état moral et matériel des populations tourangelles, jetons un coup d’œil sur la terre qui sert de théâtre à leur activité. Nous ne pouvons qu’indiquer ici ce qui en fait le mérite pour l’artiste et le voyageur. Le pays n’offre ni la platitude monotone des vastes plaines ni l’âpre beauté des sites alpestres. Accidens de terrain, rivières au cours tranquille, si on excepte parfois la Loire et ses violens caprices, fraîches vallées d’une étendue moyenne avec leurs arbres qui se reflètent dans les eaux calmes au bas des coteaux chargés de vignes et d’arbres