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souvent, et notre pensée a quelque peine à concilier tant de maux avec les images souriantes que lui offre une province qui les justifie à tant d’égards. L’histoire admet de tels contrastes. Au milieu même de ce XVIIIe siècle et jusqu’aux années voisines de la révolution, il y a d’ailleurs des efforts de régénération agricole. On crée des bureaux d’agriculture ayant leur siège à Tours, à Angers et au Mans. Les ingénieurs se mettent au travail comme les agronomes. L’un d’eux, gardant l’anonyme, a tracé de la province un tableau d’où nous tirons quelques détails d’un réel intérêt, et qu’on peut lire tout au long dans les Mémoires de la Société des sciences, arts et lettres d’Indre-et-Loire. La distinction des terres fertiles et des terres stériles y est fort bien établie par régions. Le chiffre des baux, le rendement des terres, sont plus d’une fois indiqués avec une recherche assez rare alors de l’exactitude. Ce document nous explique que la Touraine ait pu manquer de vivres si souvent. Bien qu’elle en vendît au dehors, il y avait une production insuffisante de céréales, et le bétail lui manquant, il lui fallait l’importer aux trois quarts pour les besoins de son alimentation. La production et le commerce de Touraine sont signalés avec une remarquable précision pour les vins, pour la vente de ces fruits confits, vieille célébrité du cru, nés, dans cette province, un peu sensuelle, du mélange de la gourmandise et du calcul. Notre ingénieur des ponts et chaussées ne pouvait omettre l’état des routes, ce que coûtaient et rapportaient la navigation et les autres voies parcourues par le commerce. Les chemins, comme partout, laissaient fort à désirer, et le pays avait en outre à souffrir des inondations, parfois permanentes sur les bords de l’Authion. Comment opérer des desséchemens et exécuter tant de travaux nécessaires avec un fonds qui montait, pour toute la France, à 3 millions pour les ponts et chaussées? Il fallait bien employer la corvée, que le même ingénieur juge onéreuse, comme les économistes du temps, mais absolument indispensable. Aussi en use-t-on fort pour les chemins et les autres travaux publics dans ces années 1765 et suivantes. Sur 1,593 paroisses taillables en Touraine, 800 avaient recours à la corvée. Elles y consacrent alors les bras de 121,617 corvéables, et en outre 55,842 bêtes de trait ou de somme, le tout équivalant à plus d’un million de journées! On croirait que de tels calculs vont donner des résultats très considérables ; erreur : on arrive seulement à un nombre bien restreint de routes créées, empierrées ou réparées.

En définitive, il semble que les campagnes de la Touraine, au commencement du règne de Louis XVI, avaient gagné en habitans, tandis que les villes n’avaient guère réparé leurs pertes. On sait combien les recherches précises sont rares alors sur l’état de la