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qui, selon toute probabilité, résultait le leur insuffisance. On peut trouver plus d’une indication digne d’intérêt sur l’état des campagnes et des populations dans l’histoire de cette même abbaye de Marmoutier, composée par dom Martène et que M. L’abbé Chevalier a publiée, il y a quelques années, avec d’utiles et savantes remarques, dans les Mémoires de la Société archéologique de Touraine. Il y est plus d’une fois question, — et même à l’excès, selon l’austère dom Martène, — des intérêts temporels de l’abbaye. Nous n’avons garde de nous en plaindre : cette préoccupation oblige les abbés, habiles administrateurs du domaine qu’ils exploitent en l’agrandissant, à signaler les relations et parfois les difficultés avec les propriétaires ruraux, la tenure des baux, et, à certains momens, la misère des campagnes, les secours donnés par l’abbaye. Nous y voyons particulièrement l’affranchissement, accompagné de curieuses cérémonies, de quantités de serfs moyennant certains avantages. Ces détails, instructifs pour les siècles du moyen âge, continuent à l’être, avec un intérêt non moindre, pour la période moderne jusqu’en 1789. Des textes plus connus constatent le mouvement qui se fait déjà au XVIe siècle, avant les guerres religieuses, de la part du paysan tourangeau vers l’achat de la terre. Le défrichement des forêts en augmente l’offre dans des proportions considérables; néanmoins, la demande plus vive encore en fait beaucoup hausser le prix. Le bail à ferme devient un régime très répandu à la même époque. On sent les bons effets de l’adoucissement extraordinaire des servitudes foncières dû à l’ordonnance de 1558, qui révise les coutumes de quelques provinces, parmi lesquelles la Touraine se trouve comprise. Ce qui est un vrai signe d’aisance, les preneurs à bail sont très souvent désignés dans les contrats comme possesseurs d’ustensiles agricoles et même de mobiliers de prix. Le gros fermier est, dès lors, un important personnage, et il arrive déjà que son fils enrichi abandonne la culture. N’est-ce pas au milieu de ces paysans de Touraine que leur compatriote, l’auteur de Pantagruel, a pris le plaisant portrait de ce laboureur si fin et si délié, que le diable veut tromper et qui trompe le diable ? En vain entend-il retentir comme un refrain à son oreille cette sentence : « Travaille, vilain, travaille! » — Ce laboureur est allègre et dispos, et il vend fort bien son blé. Il ne lui faut pas moins que ce fond de gaîté et de vaillance, tout au moins de résignation, pour traverser la longue période des guerres civiles. Henri IV lui rend toute sa bonne humeur en lui faisant retrouver la sécurité et la paix. Le progrès de l’aisance interrompu reprend alors son cours. Mais combien de fléaux et de souffrances, tenant à des causes durables, vont se produire encore! On se croit parfois reporté aux pires siècles barbares, et cela sous Louis XIV et sous Louis XV. Les disettes, aussi