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que des mouvemens insurrectionnels qui emportent tout comme un ouragan. Elle aime l’ombre et la paix de sa cabane et trace tranquillement son sillon, satisfaite de se sentir vivre toutes les fois que les temps ne sont pas trop durs. Elle ne se trouble pas l’esprit des vieilles et effrayantes superstitions. Elle ne court pas les aventures comme le Normand ou le Malouin. Elle juge superflu d’aller au loin conquérir la terre, quand elle s’offre tout près ; l’acheter par morceaux suffit à son imagination sage et à son honnête ambition. Elle travaille avec continuité plutôt qu’avec énergie. Elle en prend même quelquefois à son aise avec le temps, parce qu’elle sait qu’elle l’a devant elle. Elle se fie à sa patience, que rien ne détourne de son but modeste, et ce calcul n’a pas-été déçu.

L’histoire des populations agricoles de la Touraine ressemble par ses grands traits à celle de beaucoup de nos provinces qui suivent, au milieu d’épreuves successives, leur évolution signalée à peu près par les mêmes phases jusqu’à leur complète émancipation. Je n’essayerai donc pas de la reconstruire et d’en développer la suite. Il suffit ici d’indiquer quelques faits, qui, en jetant du jour sur le passé, aident aussi à apprécier l’état actuel. Rien, par exemple, n’y rappelle les origines si profondément religieuses de l’agriculture bretonne, lesquelles ont contribué à former les traditions et l’esprit même du pays, en lui léguant tant de légendes d’un caractère particulier à la fois agricole et sacré. Ces saints colonisateurs, qui, dans l’Armorique, ont marqué leur empreinte sur le soi défriché comme sur les âmes converties, et qui semèrent de miracles une terre arrachée aux fauves et conquise au travail, ne tiennent guère de place sur ce territoire depuis trop longtemps exploité pour exiger tous ces prodiges. Ce n’est pas qu’en Touraine l’agriculture et l’église ne présentent des rapports au moyen âge par l’intermédiaire des monastères. Centre de piété et d’érudition, la célèbre abbaye de Marmoutier est aussi un centre agricole. Les paysans en imitent les bonnes pratiques de culture, comme ils viennent quelquefois eux-mêmes y recevoir l’affranchissement avec la prêtrise. Ils en tirent également parfois des moyens de subsistance dans les temps difficiles. On voit l’abbaye se livrer à de véritables opérations commerciales pour acheter du blé au dehors. Dans les premiers siècles du moyen âge, on rencontre des disettes ou plutôt des famines qui déciment les populations privées de tout secours extérieur. Grégoire de Tours en a retracé le spectacle navrant en les rapportant à la colère divine, qu’il attribue à leurs péchés et à l’inobservance du repos dominical. Il nous montre ces malheureux réduits à manger des racines de fougère pulvérisées, mêlées à un peu de blé vert, ou de mauvaises herbes qui les faisaient enfler et mourir. Il accuse, en outre, les accapareurs du prix surélevé des grains,