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chef des brigands, représentée à Paris en 1792, était la pure apologie du système jacobin. Schiller composa ensuite la pièce républicaine de Fiesque (1784) et, un an après la comédie révolutionnaire de Beaumarchais, le Mariage de Figaro, en 1785, il faisait jouer Intrigue et Amour, satire farouche et amère de ces princes qui trafiquaient du sang de leurs sujets, et de « cette noble canaille des cours » que Lessing avait déjà flagellée dans Emilia Galotti ; enfin dans Don Carlos (1787), Schiller proclame, par la bouche de Posa, sa foi de disciple enthousiaste de Rousseau et de Montesquieu au progrès de l’humanité, à l’avènement de la justice sociale, et donne à l’optimisme de son temps l’expression la plus exaltée, à la veille de la révolution.

A peine avait-elle éclaté que les plus graves esprits de l’Allemagne, Kant, Fichte, et toute la jeune génération, celle des Schelling et des Hegel, alors étudians, des Stolberg, des Gœrres et des Gentz, les futurs coryphées de la réaction, l’acclamaient avec transport. L’historien Jean de Millier célébrait la prise de la Bastille comme le plus beau jour et le plus remarquable depuis la chute de l’empire romain. On fêtait à Hambourg le 14 juillet : « Toutes les jeunes filles étaient habillées de blanc. Un chœur chanta des vers de circonstance ; Klosptock lut deux odes nouvelles. Au bruit des canons, de la musique et des cris de joie, on but au prochain succès de la révolution en Allemagne. » Goethe, qui voyageait dans les environs de Dusseldorf, voyait se dresser partout les bustes de Lafayette et de Mirabeau, auxquels on rendait des honneurs divins. La république honorait Schiller et Klopstock du diplôme de citoyens français. Paris devenait un lieu de pèlerinage, la Mecque de la liberté. Un des Aufklœrer, Campe, y allait en 1791, avec son élève, le jeune Guillaume de Humboldt, pour assister « aux funérailles du despotisme… Nous avions cessé pour le moment, écrit Campe, d’être Brandebourgeois et Brunswickois ; toute différence de nationalité, tous les préjugés nationaux avaient disparu. »

La terreur éloigna de la révolution. Sauf sur les bords du Rhin, l’enthousiasme était d’ailleurs purement théorique ; on rêvait des libertés, des constitutions parfaites ; mais le peuple restait attaché à «es coutumes et à ses princes, qu’il supportait patiemment : « l’anarchie et l’immoralité françaises ne sont pas contagieuses pour l’Allemand paisible et moral, » écrivait Stein en 1793. Peut-être aussi y a-t-il un fond de servilité dans le caractère allemand. » « Je suis las de régner sur des esclaves, » disait Frédéric II vieillard, paraphrasant le mot de Tibère : O homines ad servitutem nati ! Un écrivain du XVIIIe siècle, K.-Fr. von Moser, caractérise ainsi les ressorts de chaque nation : « En Allemagne, c’est l’obéissance ; en