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l’admiration de l’étranger. Æneas Sylvius, dans sa Germania, marque son étonnement de voir les bourgeois de Nuremberg mieux logés que des rois d’Écosse. La guerre déchaînée par un Hapsbourg, Ferdinand II, ruina de fond en comble l’œuvre de cette belle civilisation. Déjà, les guerres de religion avaient commencé le démembrement, l’appauvrissement de l’empire ; mais de grands intérêts nationaux s’y débattaient, des héros et des martyrs avaient surgi, et des artistes fils de héros. Il n’en est pas de même durant ces trente années de meurtre et de pillage ; ce ne sont plus les princes allemands qui revendiquent, en face de l’empereur, des privilèges religieux ou politiques, ce sont les puissances européennes qui se posent en adversaires de l’envahissante maison d’Autriche et qui se ruent sur l’Allemagne comme sur une proie. La paix signée, que de décombres ! Les buissons couvrent les places des cités naguère florissantes, les arbres crèvent les toits effondrés ; dans les campagnes ravagées, on rencontre plus de bêtes sauvages que de paysans ; des milliers de villages ont disparu, des villes de 18,000 habitans n’en comptent plus que 300 ; le Wurtemberg tombe de 400,000 à 40,000 âmes ; le pays entier a perdu environ les trois quarts de sa population, les deux tiers des maisons, les neuf dixièmes du bétail. Ce n’est qu’au bout de deux cent trente ans, vers 1850, que l’Allemagne a pu retrouver la prospérité et la richesse qu’elle possédait vers 1618.

Les conséquences politiques ne paraissent pas moins déplorables. Tout sentiment national a disparu. En rêvant d’imposer à l’empire l’unité politique par l’unité religieuse, Ferdinand II n’a fait qu’en hâter la désagrégation, au temps même où l’Angleterre et la France se centralisent en royautés souveraines. Avec des finances dérisoires, une armée ridicule, le pouvoir impérial n’est plus qu’un vain titre. Les tribunaux d’empire, aux formes surannées, aux lenteurs infinies, rendent des arrêts qui souvent n’ont pas même de sanction. Le droit le plus noble de l’empereur, celui de protéger les sujets contre les princes, est de plus en plus limité. Le couronnement de Francfort deviendra cette cérémonie de mardi gras que le chevalier Lang nous a si spirituellement décrite dans ses Mémoires. Suspendue sur une bigarrure de mille principautés, la vieille institution féodale flotte, comme un manteau troué de vermine, sur un habit d’arlequin. Une multitude de petits tyrans, ducs et comtes, margraves, landgraves, wildgraves, rhingraves, évêques et abbés, qui couvrent le sol, revendiquent, en face de l’empereur, des droits absolus. Plus de limites à leur arbitraire, les vieux usages teutoniques sont tombés en désuétude, la noblesse ruinée vient revêtir la livrée des cours. Des potentats minuscules, dont un cerf, en trois bonds, franchit le territoire, disent avec