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frontière menacée devait avoir son défenseur, et le même homme ne pouvait pas en même temps tenir tête aux Germains et aux Parthes. On l’approuve aussi d’avoir voulu conserver une sorte de hiérarchie entre ces princes, pour que l’unité de l’empire ne fût pas détruite par la multiplicité des empereurs ; mais il y a certaines de ses institutions que nous avons beaucoup de peine à comprendre. Ce prince, qui prenait plaisir à s’entourer d’une cour où florissait l’étiquette la plus minutieuse, à se vêtir de pourpre et de soie, à se couvrir d’or et de diamans, à se faire adorer comme un dieu, qui semblait enfin partager tous les goûts des monarques de l’Orient, adopta, par un contraste bizarre, une des idées les plus chères aux vieux Romains : il tint à bannir l’hérédité de son système monarchique. L’hérédité était odieuse à tous ceux qui, à Rome, se souvenaient de la république et en gardaient quelque regret dans le cœur. Même quand ils se résignaient à souffrir un maître, ils ne voulaient pas que le prince fût remplacé directement par son fils ; ils aimaient mieux qu’il prit son successeur hors de sa famille. « Naître d’un sang royal, disait Tacite, est un pur effet du hasard. Au contraire, celui qui en adopte un autre le choisit en liberté, et s’il veut bien choisir, il n’a qu’à suivre l’opinion. » D’après ces principes, Dioclétien voulut instituer une monarchie où l’adoption remplacerait la naissance. Il régla donc que les quatre princes entre lesquels il partagea l’empire (deux augustes et deux césars) n’auraient point d’égard à leurs enfans légitimes et choisiraient, pour leur succéder, celui qui en était le plus digne. Cette conception, très séduisante en théorie, se trouvait être d’une application difficile. Elle n’a réussi une fois, sous les Antonins, que grâce à un hasard singulier, qui a placé sur le trône des Césars quatre empereurs qui n’ont pas en d’héritier mâle. Quand un prince a un fils, il est rare qu’il se décide à le déshériter : il est plus rare encore que le fils prenne son parti de céder la place à un étranger, et chaque succession qui s’ouvre devient une occasion de guerre civile. Aussi n’est-il pas surprenant que, quelques années après la retraite de Dioclétien, il ne soit plus rien resté de la belle hiérarchie qu’il avait imaginée. Au lieu des deux augustes et des deux césars, il y eut six ou sept empereurs, qui se prétendaient investis d’un pouvoir égal et qui ne cessèrent de se combattre jusqu’au jour où il n’en resta plus qu’un de vivant.

Mais Dioclétien commit une faute encore plus grave : au moment d’abdiquer le pouvoir, il commença la persécution contre les chrétiens. Pendant près de trente ans, on les avait, laissés tranquilles, et, quoiqu’il leur fût aisé, au milieu du désordre général, de venger leurs anciennes injures, ils n’avaient jamais trouble la paix publique. Il semble que l’état aurait pu continuer à les tolérer et que ce n’était guère le moment pour lui de se mettre de nouveaux ennemis sur les