Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

circulaire conduisant à la porte d’entrée. Lorsque le sultan approche, toute l’armée s’arrête d’un seul mouvement; seuls, les deux; lanciers, le moul medel et les deux moul zif font encore quelques pas avec lui vers sa tente ; mais bientôt le moul medel terme son parasol et s’arrête à son tour avec ses compagnons. Le sultan va seul jusqu’à sa tente, où aucun homme ne doit l’accompagner : il y est reçu par les femmes de son harem et par des eunuques, qui l’aident à descendre de cheval, à se débarrasser des vêtemens qui le gênent, et à se préparer au repos.

Au lieu de rester enfermé dans son harem, comme le faisaient son père et ses ancêtres, qui confiaient la direction des opérations militaires, chaque fois qu’on devait en entreprendre, à un parent ou à quelque grand personnage de l’empire, Moula-Hassan, qui est hardi et entreprenant, marche lui-même à la tête de ses troupes. On sait qu’en Tunisie, avant notre occupation, le frère aîné du bey, l’héritier présomptif de la couronne, était chargé du commandement de l’armée et portait pour cela le titre de bey du camp. L’armée, d’ailleurs, n’avait d’autre rôle que d’aller percevoir les impôts, qui ne seraient jamais rentrés sans ce procédé violent de perception. Il en est de même au Maroc ; avec cette seule différence que le sultan est lui-même le sultan du camp. Un des plus hauts personnages de l’empire porte le nom de caïd du campement, caïd ferreghi. En effet, le campement est la principale affaire du gouvernement, qui n’administre guère ses sujets soumis, — ce soin est confié aux caïds, — mais qui guerroie sans cesse contre ses sujets insoumis. Les qualités personnelles de Moula-Hassan font de lui le type même du souverain belliqueux. Il est brillant cavalier et a donné déjà maintes preuves de bravoure. Il y a quelques années, étant allé à Ouchda, où il eut une entrevue avec le général Os mont, qui remplaçait alors le général Chanzy comme gouverneur de l’Algérie, il eut à combattre en allant et à combattre encore en revenant, pour que les tribus, soi-disant placées sous son autorité, lui livrassent passage. Dans un de ces engagemens, emporté par son courage, il s’avança tellement qu’il faillit être entouré. Son cheval fut tué, sa troupe prit la fuite. Appuyé contre un rocher avec quelques fidèles, il tint tête à l’ennemi jusqu’à ce qu’un caïd vint lui amener un cheval pour s’éloigner. Cette expédition avait, d’ailleurs, quelque chose de romanesque. Le principal adversaire du sultan était une héroïne berbère qui commandait la tribu montagnarde des Aït Zedeg. On la nommait Rekia ben Hadidou, et malgré ses soixante ans, elle montait bravement à cheval. L’idée lui vint d’aller attaquer le petit détachement français du général Osmont; plus tard, elle songea à enlever le sultan, et celui-ci ne dut certainement