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J’ai dit que le costume du sultan était d’une simplicité parfaite, mais d’une finesse extrême et d’une blancheur immaculée. Il n’a d’autre luxe que la beauté des selles de ses chevaux. Il les change sans cesse, et toutes sont d’une couleur exquise : je lui ai vu des selles couleur crème qui se nuançaient merveilleusement avec son burnous laiteux, des selles d’un rouge tendre, d’un rose légèrement ému, d’un vert transparent, toutes d’une variété et d’une pureté de coloris inimaginables. Même dégénérés, les Arabes sont encore les plus grands coloristes du monde.

Quand il marche au milieu de son armée, soit pour se rendre d’une capitale à l’autre, soit pour aller faire quelque expédition chez des tribus rebelles, le sultan conserve le même appareil. Il lève son camp très tard dans la matinée, n’ayant aucune crainte du soleil, sous les rayons duquel les Marocains semblent, au contraire, se trouver beaucoup mieux qu’à l’ombre. Les tentes filent d’abord afin d’arriver les premières au lieu du prochain campement. Les troupes s’étendent dans la campagne, formant une ligne immense ; le sultan s’avance au milieu, suivi de soldats d’élite et de quelques femmes de son harem soigneusement voilées. En avant de lui, à quelque distance, se tient le caïd el-méchouar, grand maître des cérémonies, qui domine tout de sa taille; puis vient un groupe de personnages portant chacun quelque objet nécessaire au sultan ou de nature à pouvoir lui servir au besoin ; ce sont le moul faz, ou maître de la serpette, chargé, lorsqu’on s’arrête quelque part, de faire disparaître les broussailles qui pourraient gêner le sultan ; le moul chabir, ou maître des éperons, qui tient dans ses mains des éperons que le sultan, qui n’en porte point d’ordinaire, lui demande lorsqu’il veut accomplir quelque prouesse équestre, toujours admirée de l’assistance ; le moul zerbia, ou maître du tapis qu’on dépose à terre lorsque le sultan désire s’asseoir; le moul stroumbia, ou maître du coussin où le sultan se repose ; le moul belgha, ou maître des babouches, que le sultan peut vouloir chausser à la place de celles qu’il a aux pieds; le moul el ma, le maître de l’eau, qui donne à boire au sultan lorsqu’il a soif; le moul el taï, le maître du thé à l’usage du sultan. A la suite de ce groupe se présentent deux lanciers, puis le moul medel, porteur du parasol et deux moul zif, chasseurs de mouches. Lorsqu’on arrive au nouveau campement, la tente du sultan est toujours dressée, car on a fait diligence pour qu’il ne court pas le danger que courut un jour, à son profond ébahissement, Louis XIV, le danger d’attendre. C’est une vaste rotonde placée au milieu du camp, et séparée par un très large espace de toutes les autres tentes. Elle est entourée d’une sorte de muraille en spirale qui trace une route