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s’est arrêté, c’est d’une voix très douce, presque chantante, quoiqu’un peu voilée, qu’il lui a répondu en ces termes :


Soyez les bienvenus, vous, monsieur l’ambassadeur, et tous ceux qui vous accompagnent. Vous arrivez au Maroc précédés de la réputation d’un homme chez lequel l’intelligence n’a d’égale que la sagesse, et je rends grâce à Dieu que vous ayez été choisi pour venir ici représenter le gouvernement français. Je suis assuré que, grâce à vos lumières, l’amitié ne fera qu’augmenter entre nos deux pays, ainsi qu’il en était du temps de mes ancêtres. La France est, de toutes les puissances européennes, la première avec laquelle le Maroc ait noué des relations d’amitié ; vous serez le nouveau lien qui doit resserrer ces rapports amicaux. Vous savez que, de tous temps, nous avons aimé la France, qui nous donne aujourd’hui une preuve éclatante de la réciprocité de ses sentimens en nous envoyant un homme tel que vous. Soyez le bienvenu !


Il était impossible de s’exprimer avec plus de grâce, avec un air plus affable. Les discours terminés, M. Féraud présenta un à un à Moula-Hassan les personnes qui l’accompagnaient. Celui-ci n’avait pu s’empêcher, tout en écoutant et tout en parlant lui-même, de jeter des coups d’œil curieux du côté de nos cuirassiers, qui étaient restés casque en tête, pendant que nous étions tous découverts, et qui brillaient comme des soleils sous les rayons de celui du ciel. Il parut heureux de pouvoir enfin se faire donner des renseignemens sur les cuirasses, leur usage, leur utilité, etc. Le côté enfantin de son esprit peu cultivé se montrait là tout à coup. C’était pour la première fois que le sultan voyait des cuirassiers. A la vérité, une ambassade allemande était allée un jour à Fès avec des cuirassiers blancs ; mais cette ambassade avait joué de malheur. En essayant de monter une glacière qu’elle portait en présent au sultan, elle l’avait fait éclater, ce qui avait blessé plusieurs indigènes. Aussitôt Moula-Hassan et sa cour s’étaient persuadés qu’ils étaient en butte à quelque criminelle machination et que la prétendue glacière était en réalité une machine infernale destinée à les faire sauter. La crainte de la machine infernale les avait empêchés d’admirer suffisamment les cuirassiers blancs. Nos cuirassiers à nous n’avaient. Dieu merci ! rien qui empêchât de les contempler en sécurité. Moula-Hassan voulait savoir combien nous en avions, si la cuirasse était à l’abri des balles, si le casque était lourd, mille autres détails. A propos de chaque officier d’arme nouvelle qu’on lui présentait, il posait de semblables questions. Les ambassades qu’il reçoit sont pour lui le seul moyen de recueillir des informations sur l’Europe, sur l’état des forces de chaque nation, sur leur