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noirs, abondamment fournis, se creusent deux plis accentués et perpendiculaires. On le dit timide, et parfois il semble avoir l’air inquiet, mais sans aucune des préoccupations pour sa vie qui se lisent sur le visage tourmenté du sultan de Constantinople. C’est l’inquiétude d’une dignité excessive qu’il est difficile de porter toujours convenablement. Comme tous les cavaliers de son maghzen, Moula-Hassan a la tête rasée ; au-dessus des tempes se montrent, cependant, suivant la mode, deux touffes de cheveux noirs que le turban recouvre en partie. Sa barbe et sa moustache sont également noires. Il est vêtu du costume ordinaire des Arabes, mais toutes les parties de ce costume sont d’une éblouissante blancheur. Il paraît qu’il ne remet jamais le même deux jours de suite, et que, quand il en a porté un, il en fait cadeau à quelque personne de son entourage. Rien, à l’extérieur, ne le distingue de ses sujets ; un sabre et une petite boîte, retenue par un cordon vert, dans laquelle est placé le Bokhari, célèbre commentaire du Coran, pendent à son côté. Ses pieds sont nus, sans bas, chaussés de babouches jaunes qui reposent sur des étriers d’or. Son cheval, aux souples allures, avait, le jour de notre réception, une bride et une selle très simples, mais merveilleuses de couleur : un vert clair olivâtre, d’une délicatesse exquise, qui s’harmonisait avec un goût charmant à sa robe blanche et aux plis flottans de son manteau. En somme, dès qu’on avait jeté les yeux sur ce souverain de féerie, il était impossible de les en détacher ; car jamais l’idéal du roi à la manière antique, du prince religieux et militaire, n’a été extérieurement réalisé d’une façon plus accomplie.

A peine le sultan fut-il auprès de nous, qu’il se pencha majestueusement sur sa selle, la tête légèrement inclinée, dans une pose curieuse et attentive, d’une grande dignité. M. Féraud se couvrit alors, et, prenant la parole, il lui adressa le discours suivant, que je n’hésite pas à reproduire comme un modèle dans l’art de parler aux Orientaux, avec le style, les images, les formes de pensée et de langage qui leur conviennent :


Sire,

Que le salut et la bénédiction du ciel descendent sur la personne élevée, auguste et bien-aimée de Votre Majesté chérifienne. Je rends grâce à Dieu, je rends grâce à Dieu, je rends grâce à Dieu[1], je rends grâce au gouvernement de la république, qui m’a appelé à l’honneur

  1. Cette triple répétition est d’une grande élégance en arabe.