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chose, excepté dans ce qui voit, sent et pense les facteurs mêmes.

L’hypothèse d’automates inconsciens, faisant la même besogne que la conscience, peut d’ailleurs se retourner. Supposez une série de faits uniquement psychologiques et tous plus ou moins consciens, reliés par des lois régulières : une pensée sera suivie d’émotion, l’émotion sera suivie de volition ; en outre, parmi ces pensées, il y en aura de toutes les formes, y compris la représentation de certains objets apparens, comme les cuirasses, les armes, les lieux divers, Constantinople et ses murailles. Tout se passera alors comme si les faits mentaux existaient seuls, sans faits réellement matériels, et de la même manière. Les Turcs prendront Constantinople, c’est-à-dire que les séries de pensées, d’émotions et de volitions aboutiront au même résultat que dans l’hypothèse où des automates inconsciens, revêtus de cuirasses, prendraient d’assaut des murailles aussi insensibles qu’eux-mêmes. La fiction idéaliste et la fiction matérialiste se valent, ou plutôt la première est plus logique que l’autre, car, en fait, le monde extérieur se réduit pour nous à la série des représentations que nous nous en formons.

La psychologie expérimentale peut rester en dehors de ces hypothèses métaphysiques, mais alors elle ne doit pas, avec M. Spencer et son école, chercher dans des actes supposés mécaniques et purement automatiques l’explication des faits de conscience. Par cette méthode, elle se fait illusion à soi-même et renverse l’ordre probable des choses. Expliquer les fonctions réflexes et automatiques de la moelle par une dégradation et une dispersion de quelque sensibilité primordiale, par une organisation de plus en plus machinale des effets d’un appétit accompagné de conscience sourde, ce serait là une induction légitime, qui ne violerait pas la loi de continuité, mais prendre pour point de départ un mécanisme brut, ne placer parmi les données initiales de l’évolution que ces corpuscules insensibles et sans vie, ces petites têtes de mort qu’on nomme atomes, c’est se mettre dans l’impossibilité d’arriver, « sans un saut mortel, » à la vie et à la conscience.

Alfred Fouillée.