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voyant s’évanouir votre maussaderie ou votre accablement, que remplaceront une réelle gaîté, une réelle bonté de caractère. — Mais, quand M. James va jusqu’à conclure de là que ce sont les mouvemens expressifs qui, par eux-mêmes, produisent toute l’émotion, nous ne pouvons plus le suivre : une liaison d’états analogues n’est pas une identité. Si on parle d’un dédain amer, le mouvement des lèvres produit par l’amertume d’une saveur n’est pas pour cela l’élément constitutif du dédain lui-même. La « métaphore » renferme un côté de la vérité, elle n’est pas toute la vérité. Les mouvemens expressifs d’une passion suggèrent la passion même par une contagion de proche en proche, qui remonte des derniers effets aux premières causes et, par les effets, met en branle les causes mêmes ; mais il n’en résulte nullement que les effets soient les causes.

Dans tous les hôpitaux, on trouve des exemples de crainte absolument sans motif, de tristesse, de mélancolie ; on y trouve aussi des exemples d’apathie également sans motif qui persiste en dépit des meilleures raisons. Peut-être la machine nerveuse ou cérébrale offre-t-elle alors, dans une certaine direction passionnelle, une si grande instabilité que tout stimulant extérieur, fût-il inapproprié, l’ébranle dans cette direction et engendre l’émotion correspondante. Mais ce fait ne prouve pas que toute émotion, en dehors des états maladifs, soit la conséquence de ses propres symptômes au lieu d’en être l’antécédent. Nous avons vu, en effet, qu’il existe des associations entre certaines émotions physiques et les émotions morales correspondantes : la loi d’association, dans les cas maladifs et même en temps normal, peut donc fort bien remonter des effets aux causes et renverser le courant ordinaire qui descend des causes aux effets. Ainsi, par cela même que la tristesse est associée d’ordinaire à l’anxiété précordiale, celle-ci à son tour, si elle existe primitivement à l’état maladif, peut produire la tristesse et l’anxiété morale. Nouvel exemple d’association entre des émotions similaires par leurs effets physiques. C’est ainsi que certain malade atteint de terreur morbide triomphait de cette terreur toutes les fois qu’il parvenait à respirer profondément, à se tenir droit et ferme, à se donner le maintien du calme. Les symptômes peuvent ainsi réagir sur les causes du mal sans que les causes soient uniquement les symptômes.

À l’argument tiré du renforcement des émotions par leurs mouvemens expressifs nous opposerons un autre fait non moins indéniable : l’affaiblissement final des émotions par ces mêmes mouvemens expressifs. Les larmes augmentent d’abord le chagrin, soit ; mais elles finissent aussi par le diminuer et le calmer : elles ont ce qu’on a appelé un effet résolutif. Il en est de même des