Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/568

Cette page a été validée par deux contributeurs.

provoqués par association viennent renforcer l’émotion principale. Les violens sentimens musculaires qui accompagnent les mouvemens de l’homme en fureur élèvent à un ton plus haut, en excitant énergiquement la conscience, cette énergie de la « passion irascible » que Kant appelait son caractère sthénique ; les battemens de cœur et la gêne de la respiration, chez l’individu qui a peur, occasionnent déjà par eux-mêmes un sentiment d’angoisse. Les sensations réflexes jouent dans le sentiment le même rôle que les harmoniques d’un son qui, se superposant au ton fondamental, en modifient le timbre. Mais les harmoniques ne sont pas le son lui-même ; les sensations réflexes, à elles seules, ne suffisent pas pour expliquer la douleur causée par une offense. Sentir le mouvement de ses muscles, de son cœur, comme mouvement, ce n’est pas souffrir ou jouir par cela même.

Cette loi d’association qui relie les sentimens et les sensations analogues[1] a un corollaire important : si vous produisez volontairement les manifestations extérieures d’une émotion déterminée, vous pouvez vous donner l’émotion elle-même. Dans la majorité des émotions, la chose est impossible à vérifier, car beaucoup de leurs manifestations ont lieu dans des organes sur lesquels nous n’avons aucun contrôle volontaire : mais, dans les limites de la vérification possible, l’expérience corrobore la thèse. M. James a donc raison de rappeler combien la panique est augmentée par la fuite même ; donner libre cours aux symptômes de la douleur ou de la colère, c’est souvent accroître ces passions elles-mêmes ; chaque accès de sanglots rend la peine plus aiguë et provoque un nouvel accès encore plus fort. Dans la fureur, nous travaillons nous-mêmes à la pousser au paroxysme en répétant ses signes extérieurs. Refusez d’exprimer une passion, dit M. James, et elle meurt ; ce n’est pas toujours vrai, mais c’est souvent vrai. Comptez dix avant de satisfaire votre colère, et son occasion vous semblera ridicule. Siffler pour se donner courage, ce n’est pas là une simple figure de discours. D’autre part, tenez-vous toute la journée dans une posture affaissée, répondez à tout d’une voix lugubre, et votre mélancolie s’accroîtra.

Nous accorderons donc à M. James que, dans l’éducation morale, il n’y a point de plus important précepte que le suivant : — Voulez-vous vaincre certaines tendances passionnelles fâcheuses ? exercez-vous assidûment, et d’abord de sang-froid, à produire les mouvemens extérieurs qui manifestent précisément les dispositions contraires. Vous serez infailliblement récompensé de votre persévérance en

  1. Voir, sur cette loi, Wundt, Psychologie physique, traduction française, tome ii, page 374.