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que certaine personne mérite châtiment pour ses torts. Que serait la douleur sans ses larmes, ses sanglots, ses suffocations ? Une connaissance dépourvue de sentiment et prononçant que certaines circonstances sont déplorables ; rien de plus. Une émotion humaine désincorporée est un non-être. Le sens commun dit : Nous sommes insultés, nous nous irritons et nous frappons ; nous rencontrons un ours, nous sommes effrayés et nous tremblons ; nous perdons notre fortune, nous sommes tristes et nous pleurons. — Tel n’est pas l’ordre véritable des choses pour le physiologiste, selon M. James : « Nous nous sentons effrayés parce que nous tremblons, tristes parce que nous avons le cœur serré et les larmes aux yeux, irrités parce que nous frappons ou sommes poussés à frapper ; c’est la réverbération même des mouvemens corporels qui produit l’émotion. »

Inutile d’insister sur l’intérêt de ce problème : il s’agit, en définitive, de savoir si nos prétendus sentimens, avec les émotions et désirs dont ils sont l’origine, ne sont encore que des sensations de mouvemens réflexes ; en d’autres termes, faut-il supprimer le côté intellectuel et moral des sentimens, désirs, amours de toute sorte, pour les réduire en entier à des sensations nerveuses viscérales, musculaires, passivement reçues du dehors par une conscience impuissante à réagir ? Ou bien, au contraire, jusque dans nos passions prétendues, n’y aurait-il point encore une réaction mentale, soumise assurément à des lois déterminées, mais qui n’en est pas moins autre chose que la « réverbération » des mouvemens venus de nos organes sensitifs ou de nos viscères ? — Malgré ce qu’il y a de spécieux et même de vrai dans la théorie de l’automatisme passionnel, il nous semble qu’elle est seulement un côté de la vérité ; peut-être même trouverons-nous qu’elle est proprement la vérité renversée, comme quand un homme se regarde dans l’eau d’un fleuve qui lui renvoie son image avec une position inverse de sa position réelle.

Faisons d’abord la part du vrai. Il est certain qu’une émotion « désincorporée » est un non-être. Le mouvement est lié, sous une forme latente, aux sentimens les plus dégagés en apparence de toute relation physique : ces sentimens ont toujours leurs conditions nerveuses et sensitives, qui sont des mouvemens. De plus, parmi ces mouvemens, il faut faire une part aux actes réflexes ; dans la composition totale des sentimens il faut donc faire entrer aussi les sensations réflexes qui résultent de ce que les courans nerveux se répandent par tout le corps. Une fois produit un sentiment fondamental, comme la colère, il éveille aussitôt les sentimens analogues, — désirs de défense, de lutte, de vengeance, etc., et même les sensations analogues, — sensations d’effort, de tension, de chaleur, etc. Les sensations et sentimens secondaires ainsi