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à tendance matérialiste, que le psychologue doit s’interdire. Il n’y a pas de transformation possible du pur automatisme en sensibilité. Le rapport du mental au mécanisme n’est donc pas le rapport d’un phénomène à un autre phénomène du même genre, qui serait seulement moins complexe ; c’est un rapport de tout autre nature. On peut concevoir ce rapport de plusieurs façons, mais jamais à la façon d’un mouvement qui en suit et en prolonge un autre.


II.


C’est aux actions réflexes, nous l’avons dit, que les partisans de l’homme-automate demandent une explication plus particulière de la conscience et de la pensée ; suivons-les dans cet essai d’explication.

M. Setchénof, le physiologiste russe, est un de ceux qui ont le plus insisté sur la réduction de l’état de conscience à l’automatisme réflexe. Son point de départ est la découverte, à laquelle il a grandement contribué, de ce que les physiologistes nomment les « centres d’arrêt. » Selon M. Setchénof, si les mouvemens réflexes se déployaient toujours sans aucun obstacle, l’automate vivant ne deviendrait jamais un automate pensant et conscient. Mais il n’en est pas ainsi. Le cerveau ne subit pas seulement les mouvemens réflexes, il peut les suspendre, les modérer, les ralentir au moyen des « centres d’arrêt. » Cet arrêt plus ou moins complet est, selon M. Setchénof, l’origine de la conscience même. Il sert à fixer en une certaine mesure le courant nerveux, qui, sans cela, se fût dépensé aussitôt en mouvemens : il sert à lui donner ainsi une durée suffisante. C’est pour cette raison qu’il faut une trentaine ou une vingtaine de secondes pour qu’une impression transmise par le nerf sensitif agisse sur le nerf moteur. Ce ralentissement permet à la conscience de saisir au passage une action qui, trop rapide, lui eût échappé. De là M. Setchénof conclut que la conscience, la pensée est simplement une action réflexe arrêtée[1].

N’est-ce point aller, comme M. Sergi, bien vite et bien loin ? N’est-ce point prendre une des conditions d’un phénomène pour sa cause ? Cette précipitation de raisonnement n’est pas rare chez les physiologistes qui s’occupent de psychologie. Selon nous, si une certaine durée est nécessaire pour que le courant nerveux soit discerné par la conscience, c’est simplement qu’il faut un certain temps pour que le courant nerveux remonte jusqu’au cerveau. L’excitation, pour se répandre d’un des centres de la moelle épinière à un muscle, trouve-t-elle des voies trop faciles et trop courtes, elle ne va pas plus

  1. Voir les Études psychologiques, de M. Setchénof.