d’hommes qui étaient dans le gouvernement comme Fouché et Talleyrand, avec qui il avait des rapports plus particuliers.
Le rusé et louche ministre de la police, à qui il demandait un jour de démentir de faux bruits, ne se gênait pas pour laisser voir son humeur, pour parler avec aigreur des autres ministres», qu’il accusait de servilité, des militaires, du système impérial. M. de Talleyrand, ministre des affaires étrangères jusqu’en 1808, entrait dans des confidences bien plus étranges encore. Il affectait de désavouer avec son ironie hautaine dans ses conversations tout ce qui se faisait, et il allait vraiment fort loin dans les discours que lui prête M. de Metternich ; à entendre ces propos, à voir tous ces signes, l’ambassadeur était porté à croire qu’il y avait réellement en France une opposition sérieuse à la tête de laquelle il plaçait Talleyrand et Fouché[1]. D’un autre côté, dans ses rapports directs, dans ses entretiens avec Napoléon, il avait pu lui-même mesurer l’audace de cette pensée que rien n’arrêtait, pour qui la guerre de la veille n’était que le point de départ de la guerre du lendemain. Il se disait qu’il n’y avait rien d’assuré ni en France ni en Europe, et il était conduit à se demander ce que pouvait, ce que devait faire l’Autriche, soit pour se dérober aux nouveaux dangers dont elle se sentait un jour ou l’autre menacée, soit four profiter des circonstances qui pourraient lui faciliter une revanche de ses revers passés.
Au fond, quelle était la politique de l’Autriche pendant les quelques années de l’ambassade de M. de Metternich à Paris? Au premier
- ↑ M. de Metternich exagère visiblement un peu dans ses récits et le rôle de M. de Talleyrand, qu’il représente déjà comme un chef d’opposition redoutable, et les propos qu’il prête au prince de Bénévent. Si libre, si détaché qu’il fût, M. de Talleyrand, accompagnant Napoléon à l’entrevue d’Erfurt, ne peut pas avoir dit à brûle-pourpoint à l’empereur Alexandre : « Sire, que venez-vous faire ici? c’est à vous de sauver l’Europe et vous n’y parviendrez qu’en tenant tête à Napoléon. Le peuple français est civilisé, son souverain ne l’est pas ; le souverain de la Russie est civilisé et son peuple ne l’est pas. C’est donc au souverain de la Russie d’être l’allié du peuple français. « Il ne doit pas, il ne peut pas non plus avoir dit à l’ambassadeur d’Autriche : « Que l’intérêt de la France elle-même exige que les puissances en état de tenir tête à Napoléon se réunissent pour opposer une digue à son insatiable ambition; que la cause de Napoléon n’est plus celle de la France; que l’Europe enfin ne peut être sauvée que par la plus intime réunion entre l’Autriche et la Russie... » Ce n’est vraiment pas admissible. M. de Talleyrand était trop fin pour mettre cette crudité ou cette maladresse dans ses trahisons et pour donner de telles prises sur lui. Il n’était encore qu’à demi mécontent et frondeur dans l’intimité. Ce n’est qu’au mois de janvier 1809, au retour de Napoléon d’Espagne, qu’il avait à essuyer la terrible bourrasque à la suite de laquelle il cessait d’être grand-chambellan en restant toujours, d’ailleurs, grand dignitaire de l’empire. Tout ceci n’est nullement, bien entendu, pour défendre la moralité de M. de Talleyrand, mais pour montrer ce qu’il y a de peu sûr, d’exagéré ou de hasardé dans les récits de M. de Metternich au tome II, page 248 de ses Mémoires.