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à tous ceux qui avaient une place dans l’empire d’avoir un salon, des réceptions, de donner des fêtes, et même lorsqu’il partait pour quelque campagne bientôt suivie de nouvelles victoires comme en 1806, il voulait que rien ne fût interrompu à Paris. L’impératrice devait tenir son cercle aux Tuileries. Le grave archichancelier Cambacérès devait avoir ses réceptions, qui étaient souvent plus pompeuses qu’amusantes. M. de Talleyrand, ministre des affaires étrangères depuis le consulat, n’avait qu’à être lui-même, à rentrer dans ses mœurs, dans ses goûts, pour avoir un vrai salon de ton supérieur et aisé, ouvert au corps diplomatique, aux étrangers de distinction qui se pressaient à Paris, aux personnes de la vieille noblesse qui lui faisaient une cour, à ses familiers comme M. de Narbonne, M. de Montrond, M. de Choiseul-Gouffier, M. de Sainte-Foix, tous demeurans de l’ancienne société française du XVIIIe siècle. De toutes ces fêtes du temps qui se succédaient d’abord par ordre, qui passaient bientôt en usage, les plus recherchées étaient celles que donnaient les sœurs de l’empereur, les nouvelles princesses de la famille impériale. Brillante et ambitieuse, séduisante, dominatrice, passionnée dans ses colères comme dans ses goûts souvent inconstans, Caroline Murat, qui n’était encore que grande-duchesse de Berg, qui brûlait d’être reine, avait sa cour ; elle ouvrait ses beaux salons de l’Elysée aux diplomates et à une société choisie. Passionnément indolente et frivole, plus désintéressée des couronnes, plus naïvement dévouée à l’empereur que ses autres sœurs, Pauline Borghèse régnait dans ses salons en femme qui n’avait que l’amour de sa beauté et du plaisir. Hortense de Beauharnais, devenue la reine de Hollande, recevait avec une grâce naturelle et affable qui donnait à son salon un charme particulier. Napoléon tenait singulièrement à multiplier ces foyers de vie mondaine, ne fût-ce que pour retenir et occuper les membres du corps diplomatique, les étrangers, qu’auraient pu attirer d’autres salons, comme ceux de l’hôtel de Luynes ou de la duchesse de Laval, derniers asiles de ce qu’on appelait l’esprit du faubourg Saint-Germain. Il est certain que, pendant les trois ou quatre premiers hivers de l’empire, les réceptions, les fêtes, les bals, même les bals masqués, très goûtés par l’empereur, se succédaient et étaient comme les brillans et un peu frivoles intermèdes du grand drame qui ne cessait de se dérouler en Europe, qui allait d’Austerlitz à Iéna, de Iéna à Friedland, — en attendant de s’étendre sans cesse, d’aller toujours plus loin.

Arrivé à Paris dans la courte trêve de l’été de 1806, au milieu de l’épanouissement d’un empire impatient de vivre, M. de Metternich était un des brillans personnages du jour, recherché partout, d’abord pour son titre, et bientôt pour lui-même. Il portait dans cette société