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était redevenu comme autrefois le centre brillant de la vie européenne. Déjà en 1802, à l’époque des sécularisations allemandes, accomplies sous les auspices de celui qui n’était encore que premier consul, Paris avait vu affluer princes et ministres, tous ceux qui venaient plaider leur cause et qui retrouvaient avec surprise, au milieu d’une société prompte à revivre, l’éclat d’une souveraineté rajeunie. Maintenant l’organisation de la confédération du Rhin sous la protection du vainqueur couronné d’Austerlitz attirait bien plus encore les princes que Napoléon venait de faire rois, ceux qui avaient une position, des intérêts à défendre dans la confédération nouvelle : tous se pressaient aux Tuileries. L’empire ne datait que de deux ans à peine, et déjà il semblait revêtu du sceau des institutions consacrées par le temps. C’est sur ce nouveau et vaste théâtre que M. de Metternich était appelé à figurer. Il arrivait à Paris au mois d’août 1806, à la veille de la guerre de Prusse et de Pologne ; il allait y passer trois années, représentant dans la plus grande des cours la politique d’un état qui, encore meurtri de ses défaites, restait néanmoins une des premières puissances du continent, qui ne désespérait pas de réparer ses forces, de pouvoir un jour ou l’autre ressaisir un rôle, et en attendant sentait le besoin de dissimuler, de ménager l’impérieux génie auquel rien ne résistait.

Lorsque M. de Metternich a recueilli plus tard ses souvenirs sur cette époque, sur son arrivée à Paris, il a dit : « … La destinée me plaçait de bonne heure en face de l’homme qui, à cette époque, était l’arbitre du monde… Napoléon m’apparaissait comme la révolution incarnée, tandis que, dans la puissance que j’avais à représenter auprès de lui, je voyais la plus sûre gardienne des bases sur lesquelles reposent la paix sociale et l’équilibre politique… » Peut-être M. de Metternich ne voyait-il pas dès le premier jour sa position et son rôle aussi distinctement qu’il l’a cru plus tard, par une illusion qui a confondu les époques, — et comme il l’a dit pour d’autres, « l’après-coup a tout embelli. » Il faisait un pas nouveau dans une carrière où il allait rapidement grandir, — il n’en était pas encore à se croire l’antagoniste prédestiné de celui qu’il appelait « l’arbitre du monde. » Il arrivait à Paris plus simplement, en ambassadeur d’une politique de paix, tout au moins d’observation et d’attente, sûr d’être bien vu de Napoléon, qui l’avait demandé, croyant trouver en lui un ami de la France, — plus certain encore d’être bien accueilli de M. de Talleyrand, qui ne cachait pas ses goûts pour l’Autriche, qui s’était étudié à adoucir la paix de Presbourg. Il succédait à un ambassadeur, le comte Philippe de Cobentzel, qui s’était un peu usé par le ridicule avec sa diplomatie-surannée et ses costumes