s’interdire l’entrée de cette mer ; que Batoum étant reconnu port franc, le gouvernement anglais ne se refuserait pas à renouveler son engagement. » Ainsi tout se tient. La Russie obtient la possession de Batoum à la condition d’en faire un port franc ; l’Angleterre consent à la cession au prix de la déclaration de franchise. C’est tout cela qui disparaît ; d’un seul coup. L’acte qui vient d’être accompli fût-il aussi insignifiant pour les intérêts commerciaux qu’on le dit à Saint-Pétersbourg, il resterait toujours ce fait grave de la violation sommaire, autocratique d’un traité sanctionné par toutes les puissances.
En réalité, ce n’est pas pour rien, ce n’est point sans intention et sans arrière-pensée que la Russie procède ainsi. Elle poursuit tout simplement, très résolument, la réalisation d’un dessein que laissaient entrevoir quelques manifestations récentes et notamment une allocution du tsar à sa flotte de Sébastopol : elle rétablit par degrés sa domination exclusive dans la Mer-Noire, dont elle tient plus que jamais à refaire un lac russe en écartant ce qui la gêne. Après le traité de 1856, c’est le traité de Berlin qu’elle biffe d’un trait de plume. Que la Russie soit mécontente de ce qui se passe depuis quelques mois en Bulgarie, de cette sorte d’émancipation du prince Alexandre vis-à-vis du tsar, qu’elle puisse invoquer les violations du traité de Berlin qui se sont succédé, qui se succèdent encore dans les Balkans, c’est possible : ce n’est là évidemment qu’un prétexte. La vraie raison, c’est que, poursuivant toujours son idée fixe, elle a cru voir une occasion favorable dans l’état de l’Europe. La Russie ne s’est pas probablement engagée ainsi sans avoir pressenti ses alliés à Berlin et à Vienne. La seule puissance dont elle aurait pu craindre la résistance, l’Angleterre, lui a paru assez embarrassée avec ses affaires intérieures, avec ses élections, avec sa crise irlandaise pour qu’il n’y eût à prévoir tout au plus qu’une protestation platonique. Le calcul fût-il juste pour le moment, on n’entre pas moins dans une ère étrange où la paix de l’Orient et de l’Europe reste plus que jamais sous la douteuse sauvegarde de traités que personne ne respecte, qui sont à la merci de l’imprévu, et c’est là ce qui fait la gravité de ce simple incident de Batoum, qui est une révélation de plus, qui peut être le prélude de nouveaux événemens. Que l’Angleterre soit à l’heure qu’il est, au moins pour quelques jours, dans une de ces situations critiques où les actes un peu décisifs de diplomatie peuvent lui être difficiles, c’est bien évident. Sans doute, la politique extérieure ne change pas toujours avec les ministères : encore faut-il qu’il y ait un ministère. C’est justement cette question de gouvernement qui se débat dans la lutte électorale engagée depuis quelques jours, et comme les élections anglaises ne se font que successivement dans les diverses, parties du royaume-uni, dans les villes, dans les comtés, le. dernier mot du scrutin n’est point dit encore. Le