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l’indifférence d’une génération. Il échappe à l’instabilité des gloires de circonstance, il survit à tous ceux qui passent, il est de ceux dont e génie a laissé d’ineffaçables traces. C’est qu’en effet, comme l’a dit dans son juste et touchant langage M. Sully-Prudhomme, qui représentait l’Académie française, qui a eu l’accent le plus vrai dans ce tourbillon de discours, « nous avons tous été, dès notre enfance, à notre insu, imprégnés de son influence par l’air natal encore tout ému des vibrations de sa lyre. » Lamartine a été le poète de son temps et de tous les temps parce que nul plus que lui n’a fait vibrer l’âme humaine, n’a donné une forme plus harmonieuse, plus enchanteresse aux émotions, aux attendrissemens, aux délicatesses et aux mélancolies du cœur. Il a été une harmonie vivante ! Victor Hugo a été assurément un puissant artiste, il a ébloui, étonné ses contemporains ; il n’a pas eu au même degré le don d’émouvoir, l’inspiration spontanée et intarissable alliée au sentiment inné de l’idéal. Lamartine a pu sans doute se tromper en ne se bornant pas à être un poète, un des plus grands parmi les poètes ; il a eu ses ambitions, ses fascinations d’orateur, de politique aimant trop à jouer avec les orages. Il a pu aussi avoir dans sa vie ses faiblesses, ses prodigalités, ses imprévoyances, ses entraînemens, qu’il a d’ailleurs cruellement expiés. Il a du moins toujours gardé jusque dans ses faiblesses et ses erreurs la noblesse d’une nature qui ne se sentait pas faite pour les bassesses, pour les calculs ou les manèges vulgaires. C’était un sublime imprudent, et comme il y avait l’idéal dans le poète, il y avait dans l’homme une élévation native qui le préservait, sinon des pièges où il est trop souvent tombé, du moins des avilissemens. C’est ce qui a fait son originalité morale, c’est ce qui le fera vivre plus que tous les monumens élevés en son honneur.

Il n’est pas sûr que tous ceux qui, l’autre jour, sont allés saluer officiellement la statue de la petite place de Passy aient en un sentiment bien exact de la nature de ce génie. Il y a on ne sait quoi d’artificiel et de contraint dans ces hommages. A part M. Sully-Prudhomme, qui a eu le langage sincère et ému d’un poète, les autres, les personnages officiels, ont voulu faire de la politique, de l’histoire à leur manière et ils n’ont pas réussi : témoin M. le ministre de l’instruction publique, qui a cru devoir parler d’un temps où Lamartine a vécu, d’un régime où il n’y avait « ni action grande, ni idée directrice, » d’un « gouvernement corrupteur » auquel on pouvait prédire la « révolution du mépris. » Si M. le ministre de l’instruction publique voulait découvrir le genre de régime et de gouvernement dont il a parlé, il n’avait pas à aller si loin dans l’histoire, il n’avait qu’à regarder autour de lui, au moment présent. Que les républicains d’aujourd’hui cherchent avant tout, dans Lamartine, un précurseur, l’homme qui a