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Est-ce tout encore ? Non certes. Il est un autre point où l’arbitraire n’est pas moins évident et où l’on peut ajouter qu’il est plus criant parce qu’il touche aux sentimens les plus vifs, aux droits les plus inviolables, les plus respectés jusqu’ici. M. le ministre de la guerre, qui n’a été sans doute en cela que l’exécuteur d’une décision du gouvernement, a cru pouvoir rayer sommairement, indistinctement des cadres de l’armée tous les princes des familles qui ont régné en France. On a, en vérité, procédé si étourdiment qu’on est même allé jusqu’à comprendre parmi ces proscrits d’un autre genre, ces expulsés du grade, le général prince Murat, qui n’appartient pas réellement à une ancienne famille régnante en France, et il reste à savoir comment le conseil d’état pourrait s’y prendre pour maintenir un arrêté ministériel fondé sur une inexactitude ou une méprise. Ce n’est là au surplus qu’un détail de situation personnelle. La question n’est pas dans une fausse désignation ; elle est infiniment plus haute, plus délicate, et elle se dévoile aujourd’hui dans toute sa gravité par l’intervention de M. le duc d’Aumale frappé, lui aussi, comme M. le prince de Joinville, comme M. le duc de Chartres, comme les autres princes, ses neveux ou ses frères, dans son titre militaire. A l’ukase qui lui a été notifié M. le duc d’Aumale a répondu par une lettre qu’il a adressée à M. le président de la république et où, en relevant avec une légitime fierté le défi qu’il reçoit, il précise la question d’un trait énergiquement sobre. Il s’agit de savoir s’il y a un droit de police discrétionnaire contre le droit créé par la loi, si un acte administratif est au-dessus de ce que M. le duc d’Aumale appelle, par une juste et forte expression, la « charte de l’armée, » si on peut, par un décret de bon plaisir, enlever à un officier un grade qui est une propriété. Le débat ou le conflit est net et clair, il est engagé entre l’arbitraire de la politique et le droit précis, défini.

C’est, dit-on, la conséquence de la loi d’expulsion récemment votée par les chambres. Ce qu’il y a justement d’étrange, c’est que ceux qui ont bâclé la loi n’ont pas su ce qu’ils faisaient ; ils ont voté au hasard. Ils ont dit que les princes des anciennes familles régnantes « ne pourront entrer dans l’armée, » et comme il est de règle juridique de ne point étendre, par voie interprétative, le sens d’une disposition impliquant une pénalité, on ne peut pas même se servir de la dernière loi contre les princes. Ces princes qu’on frappe n’ont pas aujourd’hui à entrer dans l’armée, ils sont depuis longtemps en possession d’un droit, d’un état militaire qu’on ne peut leur enlever que par des raisons précises, dans des conditions déterminées. M. le duc, d’Aumale particulièrement a commandé en chef même sous la république, il n’a pas cessé d’être en activité. Il est resté étranger à toute politique, subissant en silence, il y a quelques années, une peine disciplinaire