Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernière heure venue, la maçonne californienne sortit languissante de sa demeure chérie ; morte, elle fut recueillie sur le sable à quelque distance.

On vient de voir le monde des araignées sous ses divers aspects. Dans chacune de ses légions représentées par des multitudes d’espèces, on a considéré les aptitudes et le genre de vie chez les plus intéressantes ou les mieux connues. Nulle part, ailleurs, on ne verrait au milieu d’un vaste ensemble, dans les traits essentiels, un caractère d’unité fondamentale plus évident, dans les choses secondaires une plus attrayante diversité. Avec une organisation qui les constitue toujours des êtres d’ordre très élevé, les araignées se montrent fort inégalement partagées sous le rapport de la fortune, des avantages physiques, des ressources dans la lutte pour l’existence. Malgré leur art, les araignées n’inspirent point ou la sympathie ou l’intérêt qu’excitent les insectes travaillant en commun et formant des associations qui rappellent les sociétés humaines. Toujours solitaires, elles semblent représenter l’égoïsme individuel dans le sens le plus absolu. Cependant, les araignées pauvres ou riches, vagabondes ou sédentaires, sont également des mères vigilantes, d’une sollicitude sans pareille pour leur progéniture ; sollicitude qu’on appellerait tendresse si l’on n’avait crainte d’attribuer à des êtres chétifs un sentiment qui n’appartient qu’aux plus nobles créatures. L’hostilité, la haine entre les individus de même race apparaissent comme règle ordinaire et la tolérance comme exception. Parmi les êtres animés, au moins dans les jours heureux, les relations entre les individus des deux sexes donnent le spectacle d’une délicieuse intimité. Chez les différens groupes d’araignées les rapports entre les mâles et les femelles semblent en général fort tendus, et puis, comme si la nature repoussait toute exception absolue, on a pu assister aux unions toutes charmantes de certaines espèces privilégiées. En exposant des faits qui tombent sous l’observation, l’instinct s’est révélé sous des formes saisissantes, en même temps qu’ont apparu des signes d’une faculté plus haute. En effet, l’être qui, dans la reconnaissance des situations, apprécie avec justesse, qui dans ses ouvrages répare l’accident d’une façon irréprochable, ne fait-il pas preuve de raisonnement ? En vérité, la notion des actes et des facultés des plus humbles créatures n’est pas inutile pour l’intelligence des admirables phénomènes qui font l’objet de la psychologie.


EMILE BLANCHARD.