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vigilantes ne se contentent pas de cette façon de tromper l’ennemi : elles cachent leur séjour avec de la mousse, du lichen, des brins d’herbes ou des fétus de paille, enfin, avec tous les corps étrangers qu’elles parviennent à recueillir. Les maçonnes à l’ouvrage font grande diligence ; privée de sa retraite, une de ces créatures laborieuses avait construit une nouvelle habitation dans l’espace d’une ou deux nuits. Malgré semblable rapidité d’exécution, les jeunes sujets, affirment les meilleurs observateurs, n’abandonnent pas le nid devenu trop étroit ; ils savent l’agrandir de manière à se trouver toujours à l’aise dans leur intérieur, ainsi qu’il convient à des êtres pleins de ressources. En 1868, le naturaliste autrichien Erber, parcourant l’Ile de Tinos dans l’Archipel, faisait la rencontre d’un ecténize d’espèce jusqu’alors inconnue[1]. Il se plut à l’étudier dans ses habitudes. Celle-ci, comme sa congénère, sort le soir pour aller en excursion, mais elle laisse sa porte ouverte, prenant soin de l’attacher à quelque objet voisin, pierre ou tige de plante. La trappe levée, comme par précaution, elle tisse devant l’entrée du logis une toile qu’elle détruit au matin lorsqu’elle revient pour passer le jour dans sa retraite.

Les araignées maçonnes ont été vues sur de nombreux points du globe, mais toujours dans les pays ou règne une température assez élevée. Elles sont fort répandues dans les régions circumméditerra-néennes ; on en a observé sur les terres australes et en Amérique. Il en est une d’assez belles proportions qui habite la Californie[2] ; un individu de cette espèce, bien vivant, fut apporté récemment au Muséum d’histoire naturelle, emprisonné dans son logement ; on le plaça dans une caisse convenable. Au laboratoire du Jardin des Plantes, la maçonne californienne trouvait un ami des araignées, M. Hippolyte Lucas. Pendant quatre mois, l’entomologiste fit les plus grandes politesses à la bête industrieuse. Par un tour ingénieux, il ouvrait sa porte et au bout d’une pince lui présentait une mouche. L’araignée, qui avait accompli un long voyage, était affamée ; elle venait saisir la mouche à l’entrée de sa demeure, mais reculait aussitôt lorsqu’on cherchait à l’attirer au dehors. Elle restait défiante, même envers un ami. Une belle nuit, ayant été bien repue les jours précédens, elle scella le pourtour de la porte, qu’il lui était désagréable de voir ouvrir : au lendemain matin, une nouvelle trappe était construite non loin de la première. La pauvre bête avait-elle donc fait réflexion que cette seconde ouverture resterait inconnue de celui qui la dérangeait par la porte dont il avait la pratique ? Sa

  1. . Elle a été nommé Cteniza Ariana.
  2. Cteniza californica.