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allure singulière due à la largeur du ventre ; elles marchent à la manière des crabes qu’on voit courir sur les plages maritimes. Ne fabriquant aucune toile, elles guettent les insectes au passage et se précipitent sur le gibier dans un élan si soudain et avec une adresse si extraordinaire qu’elles manquent rarement de l’atteindre. La soie dont elles disposent sert particulièrement au transport des jeunes sujets cramponnés sur les blancs flocons que le vent soulève. Les thomises s’abritent sous des pierres, sous des végétaux ou dans des excavations ; au moment de la ponte, elles confectionnent un sachet pour renfermer les œufs, et à partir de cet instant, elles deviennent sédentaires et oublient de se nourrir pour veiller sur leur postérité.

Autant les papillons de jour brillent à côté des phalènes, autant les épéïres semblent avoir d’avantages sur les autres araignées. Elles ont la plupart ou de jolies couleurs ou d’agréables nuances ; entre toutes les fileuses elles ont le rang suprême. En Europe, il est vrai, les représentans du groupe ont une apparence assez modeste, tandis qu’aux pays des tropiques, avec la grande taille, les espèces affectent dans la parure un véritable luxe. Elles sont nombreuses sur notre globe, les épéïres, si nombreuses qu’elles forment une grande famille, les épéïrides, composée de plusieurs genres ; mais c’est une famille dont tous les membres sont si étroitement unis, qu’ils portent tous les mêmes signes généraux et- se montrent en possession du même genre d’industrie.

Les épéïres ourdissent des toiles d’énormes proportions, à larges mailles régulières. Comme elles travaillent en plein jour, au milieu de la plus belle nature, on peut se plaire à les suivre dans des opérations qui semblent s’exécuter pour ravir un philosophe. Le spectacle se renouvelle tous les étés sur notre chemin. Qui ne connaît la grosse araignée des parcs et des jardins, dont la toile embarrasse souvent les avenues ; l’épéïre diadème, de couleur jaune rougeâtre, marquée en dessus, en traits sombres, d’une sorte de dessin que l’on compare à une croix de saint Denis[1] ! Postée sur un rameau de troëne, de lilas ou de cytise, notre épêïre laisse échapper un fil soyeux. Sous le regard de l’observateur, ce fil s’allonge, et, bientôt entraîné par le plus léger souffle de l’air, ira s’accrocher à la branche de quelque arbrisseau, souvent à certaine distance du point de départ. Alors, notre fileuse s’élance sur cette corde aérienne, l’assujettit à la place où elle s’est fixée, rectifiant, s’il est nécessaire, la ligne horizontale. Les plus adroits équilibristes des cirques, amusant la foule par des danses sur la corde

  1. Epeïra diadema.