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eût-elle commis une faute, il ne lui arrivera aucun mal ; au point de départ, elle a fixé un fil qui se déroule pendant sa voltige ; elle ne tombera donc point à terre, elle n’ira point se heurter contre un corps dur capable de la blesser. Un instant suspendue, elle saura bien reprendre la place qu’elle veut occuper.

Dans tous les mondes, il y a des riches et des pauvres ; il en est ainsi parmi les araignées. Les unes disposent d’une immense quantité de matière textile qui sans cesse se renouvelle ; les autres n’en produisent que bien peu. Ces dernières n’ayant pas le moyen de construire des retraites, de tendre des pièges, ont pour toute demeure les cavités qu’elles rencontrent sous les pierres, sous les feuilles mortes ou dans les troncs d’arbres et dans les murailles. Chasseresses pour les exigences de la vie, elles parcourent les campagnes, guérets brûlés du soleil ou prairies humides ; plusieurs d’entre elles se plaisent au bord des eaux, même sur les plantes aquatiques, où elles trouvent aisément à s’emparer de quelque proie, grâce à l’agilité de leurs mouvemens. Telles sont les lycoses. En nos pays, c’est-à-dire dans l’Europe centrale, les espèces de petite taille et de couleur sombre n’ont rien pour charmer les regards, et personne n’y porte attention. Cependant, à certains jours, l’observateur un peu avisé, le penseur méditatif, s’arrête à la vue de la lycose qui traverse rapidement le chemin ou cherche à se dérober parmi les herbes. La bête faible et craintive porte sur son vêtement noirâtre une petite coque ronde d’une entière blancheur ; — c’est le sachet contenant les œufs. À confectionner la petite bourse, l’araignée a dépensé toute la soie dont elle disposait. Mère d’une vigilance incomparable, n’ayant pas de domicile, sa ponte effectuée, bien protégée entre les parois soyeuses de la coque, elle n’abandonne pas un instant le berceau de sa progéniture. Parvient-on à saisir une lycose en sa promenade et à détacher son cocon, la bête, qui dans les circonstances ordinaires ne songe à éviter le danger que par la fuite, dressée sur ses pattes, ses pinces relevées, menace l’agresseur. Le cocon est-il à terre, elle est agitée par la volonté de le ressaisir et d’échapper au plus vite. L’amour maternel se révèle ainsi chez des créatures méprisées du genre humain avec une intensité trop vraie pour n’être pas touchante. Arrive l’éclosion des jeunes ; à peine nées, les petites araignées s’accrochent au corps de leur mère et voilà celle-ci qui porte ses enfans jusqu’au jour où ils seront assez forts pour suivre une proie, assez rusés pour tromper un ennemi, assez ingrats pour ne plus connaître une mère dont les soins sont désormais inutiles.

Dans l’Europe méridionale, en Afrique, en quelques parties de l’Asie, habitent de grosses lycoses parées de couleurs assez vives. Errantes comme leurs congénères des pays froids ou tempérés,