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venaient observer les roumis. Les unes s’avançaient hardiment, nous regardaient sans hésiter, nous adressaient même des saluts et des gestes pleins de provocations. Les autres se cachaient à moitié, faisaient semblant de fuir, puis revenaient avec plus de hardiesse et riaient aux éclats, fières de leur bravoure. Toutes montaient et descendaient à travers leurs terrasses, circulant de maison en maison avec une incroyable agilité. Comme les maisons se touchent presque complètement, mais sont de hauteurs inégales, et comme, dans la même maison, il y a plusieurs terrasses différemment élevées, il faut, pour passer de l’une à l’autre, se livrer à de véritables exercices de gymnastique. Ces exercices peuvent se faire avec grâce : en grimpant sur un mur, il n’est pas difficile de laisser voir une jambe line, un pied bien cambré : en s’attachant à une pierre pour s’aider dans l’ascension, il n’est pas moins aisé de laisser apparaître, jusqu’à la naissance de la poitrine, un bras plus ou moins arrondi : il suffit d’avoir des manches larges, et Dieu sait si celles des femmes de Fès le sont ! Les courbes les plus mystérieuses, les formes les plus délicates du corps transparaissent sans trop de peine sous les voiles qui les cachent ou qui les trahissent, lorsqu’on se couche sur le bord d’une terrasse ou qu’on s’y penche, sous prétexte d’observer ce qui se passe dans la rue, chose bien intéressante à certains momens. Nous pensions ne rien voir des femmes de Fès, ne rien apprendre sur elles : c’était compter sans les terrasses ! Au premier coup d’œil, nous comprîmes le parti qu’on pouvait en tirer, et nous braquâmes dans leur direction toutes nos lorgnettes. Ce fut d’abord un sauve-qui-peut général : ces étranges instrumens que nous portions sur le visage n’étaient-ils pas des engins du diable, remplis de maléfices ? Ne risquaient-ils pas de lancer le mauvais œil ? Peu à peu cependant la terreur se calma ; une femme revint, puis deux, puis trois, puis vingt, puis cent. Et, pendant les vingt et un jours que nous avons passés à Fès, il en a toujours été de même. Nous étions sûrs que, vers le coucher du soleil, au moment où les maris vont à la mosquée pour la prière du soir et s’attardent en route pour causer avec de saints marabouts sur les perfections du Dieu unique, leurs femmes couvraient les terrasses. Aussi étions-nous à notre poste, assis sous de frais orangers, surprenant toutes sortes de détails de la vie des fassyat (c’est ainsi que se nomment les femmes de Fès), distinguant beaucoup de particularités curieuses, pénétrant même quelques secrets d’un intérêt plus-ou moins piquant.

Pour être absolument sincère, je dois dire que tout n’était pas plaisir sans mélange dans ces observations journalières. J’ai souvent pensé que si un naturaliste se mêlait tout à coup de décrire à