Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fleurs d’or. C’est le seul produit de l’industrie marocaine qui m’ait paru mériter sa réputation ; en dehors de cela, le Maroc ne produit plus rien qui vaille quelque estime, pas même des tapis ; dans les haïti seulement apparaît encore une faible étincelle du génie artistique d’un peuple dégénéré.

Au-devant du kiosque de M. Féraud s’étendait une vaste esplanade pavée de mosaïque et remplie en son milieu par un bassin d’où cinq vasques de marbre laissaient échapper des jets d’eau, qui bondissaient vers le ciel avec un bruit incessant. Il fallait descendre quelques marches et traverser le jardin pour arriver à notre kiosque, plus vaste, mais moins délicatement ouvragé que celui de l’ambassadeur. Nous avions aussi un bassin et des jets d’eau sur une esplanade entourée de bancs, où l’on pouvait voir, à toutes les heures du jour et de la nuit, des Arabes ou des nègres aux costumes les plus riches ou les plus sommaires, nonchalamment étendus, tantôt sommeillant, tantôt profondément endormis. Notre kiosque se composait d’une grande salle commune et centrale recouverte de mosaïques ; sur cette salle s’ouvraient de petites chambres qui contenaient également des lits dorés à baldaquins, des glaces, des coucous, des divans, des haïti et des décorations de toutes sortes. C’est dans la salle commune que nous prenions nos repas. Elle était éclairée par le haut au moyen d’une lanterne, ce qui d’ailleurs n’eût pas été nécessaire, car la lumière y pénétrait de l’extérieur par une immense porte en plein cintre fermée simplement par un grillage. Le jour de notre arrivée, une table splendidement servie et couverte de fleurs avait été placée dans cette salle ; à côté du kiosque, sur une petite esplanade ombragée par une tonnelle, on avait disposé en outre une mouna gigantesque qui semblait nous souhaiter la bienvenue. Nous pouvions être rassurés : pendant nos trois jours de recueillement et de prison, nous n’aurions pas le sort des prisonniers ordinaires du Maroc, nous ne mourrions pas de faim ! Une dizaine de hauts fonctionnaires, nommés amins, étaient chargés de veiller soit à notre bien-être, soit à notre sécurité. On les voyait parcourir le jardin pour donner des ordres, ou se reposer sous de frais ombrages sous prétexte d’en surveiller l’exécution. Il y en avait de fort beaux que nous contemplions avec le plaisir qu’on éprouve à regarder un tableau de genre admirablement réussi. L’un d’eux portait toujours une clé énorme, afin de nous montrer sans doute que toutes les portes, même les plus grandes, nous seraient ouvertes. Nous avions de plus à notre service une nuée de domestiques qui circulaient sans cesse autour de nous, tandis que nos soldats montaient la garde dans tous les sens, prêts à nous préserver de dangers bien imaginaires. Le caïd raha, sous la responsabilité duquel nous continuions à être placés, avait dressé sa tente et celle d’une partie