leurs fusils horizontalement, la baïonnette en dehors, de manière à empêcher la foule de nous déborder.
Mais si les huit cents harabas présentaient l’aspect d’une troupe presque européenne, il n’en était pas de même, à beaucoup près, du reste de l’armée. Là, on retombait en pleine fantaisie africaine, et il aurait fallu le crayon de Callot pour dessiner ces lignes fantasques de soldats habillés des costumes les plus disparates, armés à la diable, tous en guenilles, tous dans un état de malpropreté, dans un désordre, dans un débraillé indescriptibles. Les uns portaient une veste rouge, les autres une veste bleue, d’autres n’avaient pas de veste du tout ; il y avait des culottes blanches, ou qui l’avaient été, des culottes jaunes, des culottes vertes, des culottes saumon, des culottes de cinq ou six couleurs à la fois ; les tarbouches étaient uniformément du ton de la crasse qui a vieilli. Cette grande variété de couleurs m’avait été expliquée d’avance par un officier de notre mission militaire permanente. Il n’existe pas d’uniforme réglementaire pour l’armée du sultan ; c’est le ministre de la guerre qui, suivant que tel ou tel drap est plus ou moins bon marché, l’achète et en revêt les soldats. Comme il est chargé des fournitures, il ne consulte naturellement que son intérêt personnel, il ne songe qu’à ses profits ; et l’on ne doit pas lui en faire un trop grand reproche : il n’a pas d’autre traitement que celui qu’il gagne ainsi sur la tenue de ses hommes. En principe, il n’a droit qu’à la solde de six cavaliers, c’est-à-dire à quelques sols par jour : il faut bien qu’il se rattrape sur les fournitures ! Il le fait largement. De là vient que, ramassant pour le service de la troupe les guenilles les moins coûteuses du Maroc, il donne aux uns des vestes d’une couleur, aux autres des vestes d’une autre, qu’il montre le même éclectisme dans le choix des culottes, et que l’ensemble des régimens paraît habillé d’un costume d’arlequin. Les soldats, au reste, ne sont pas moins divers que les habits. Le principe du remplacement est admis dans l’armée marocaine de la manière la plus absolue, c’est-à-dire qu’un homme est censé en valoir un autre et que, pourvu que le nombre y soit, on ne regarde pas à la qualité. Vous êtes dans la force de l’âge, mais vous avez mieux à faire que de porter les armes. Soit, vous pouvez vous faire remplacer par un enfant de dix ans ou par un vieillard de soixante. Personne n’y trouvera d’inconvéniens, à la condition qu’au moment de la guerre, vous veniez reprendre votre rang parmi les combattans. Mais on comprend quelle bigarrure nouvelle une pareille coutume ajoute à la bigarrure des costumes. Toutes les races sont mêlées : les noirs coudoient les blancs ; on rencontre des nègres du Soudan à côté d’albinos ; ces gens-là sont vêtus de la façon la plus disparate ; pour compléter le désaccord, toutes les tailles et tous les