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dossier du procès. L’une d’elles montre que, dans le régime qu’il s’agissait d’établir en France, l’égalité entre les diverses confessions religieuses devait être admise[1]. Une autre consacre le principe de la souveraineté nationale[2]. Plusieurs feuillets de cet écrit que Latréaumont, au moment où il se vit surpris, essaya de faire disparaître, échappèrent à la destruction et furent, lors du procès, représentés à Van den Enden. La déposition du chevalier de Préau nous fournit, d’autre part, quelques indications sur les doctrines politiques que le médecin flamand et Latréaumont avaient puisées dans l’ouvrage ici mentionné et peut-être aussi dans d’autres qui circulaient aux Pays-Bas. Il déclara que son oncle avait dit au chevalier de Rohan qu’il fallait faire une chambre de la liberté, où tous les différends des gentilshommes seraient réglés, que le général placé à la tête du gouvernement la présiderait, que ce général serait élu par le peuple, qui le pourrait déposer, s’il en était mécontent. Latréaumont opina que c’était le chevalier de Rohan qu’il convenait d’élever à ce poste et que, lorsque la noblesse serait à cheval, on ferait révolter Paris, où l’on irait demander les états généraux. Là-dessus, le chevalier de Rohan se frottait les mains en disant : « Je mourrais content si je pouvais une fois tirer l’épée contre le roi dans une bonne révolte. » Cette demande de la convocation des états-généraux, à laquelle il s’agissait de pousser en Normandie, Van den Enden ne la dissimula pas dans son interrogatoire. Il avoua que Latréaumont disait que le prétexte qu’il fallait prendre pour remuer, était de demander les états-généraux, conformément à ce qu’avait promis le roi, en 1651, et fait signer par les quatre secrétaires d’état.

Un des placards que Latréaumont s’apprêtait à faire afficher en Normandie nous fournit la confirmation de ce que le chevalier de Préau et Van den Enden déclarèrent au procès. L’on y trouve résumé le plan de république que les conspirateurs se proposaient d’établir. Ce document authentique figure entre les pièces du procès, et nous ne saurions mieux faire que de le reproduire ici, car il supplée heureusement à l’absence du manuscrit qu’avait avec lui Latréaumont.

« La noblesse et le peuple de Normandie assemblés pour le bien de l’état et le service du roi, voyant la misère publique et le pitoyable état où la cruauté et l’avarice des partisans[3] ont réduit le royaume au dedans et le grand nombre d’ennemis que la témérité et

  1. Nullam facere distinctionem inter catholicos et reformatos.
  2. Non alium noscant superiorem nisi nobilitatem et populum, etc.
  3. Le mot partisans a été substitué dans le document au nom de Colbert, qui y est effacé.