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en 1699. Le père de ce duc de Montbazon et du chevalier de Rohan avait été le septième Rohan du nom de Louis et il avait eu, comme son fils aîné le tint après lui, le duché-pairie de Montbazon. Mais c’était son fils cadet portant le même prénom que lui, c’est-à-dire le chevalier de Rohan dont nous parlons ici, qui avait hérité en 1656 de sa charge de grand-veneur de France. D’une bravoure qui allait jusqu’à la témérité, le jeune chevalier Louis de Rohan avait servi comme son père avec distinction et s’était notamment signalé en 1654 aux attaques des lignes d’Arras et en 1655 au siège de Landrecies. Il avait fait la campagne de Flandre de 1667, et venait de faire celle de Hollande de 1672. Il était encore, quelques années auparavant, assez en faveur pour que le roi lui eût assuré la charge de colonel général des gardes. Par ses services militaires, il avait donc ajouté à l’illustration des Rohan dont le sang coulait doublement dans ses veines, car sa mère, qui était aussi celle du duc Charles, s’appelait Anne de Rohan ; elle était la fille unique de Pierre de Rohan, prince de Guémené, et porta après la mort de son mari, dont elle était cousine germaine, le titre de princesse douairière de Guémené. Louis de Rohan, septième du nom, l’avait épousée en secondes noces, en 1617. A l’éclat de son nom le chevalier de Rohan joignait les avantages que donnent un grand air de distinction et une belle tournure. « C’était, écrit La Fare, l’homme de son temps-là mieux fait, de la plus grande mine et qui avait les plus belles jambes. » Mais il était moins bien doté sous le rapport moral et intellectuel. « C’était un composé, dit encore La Fare, de qualités contraires : il avait quelquefois beaucoup d’esprit et souvent peu ; sa bile échauffée lui fournissait ce qu’on appelle de bons mots. Il était capable de hauteur, de fierté et d’une action de courage, il l’était aussi de faiblesse et de mauvais procédés. Le chevalier de Rohan s’était fait, encore jeune, une réputation à la cour par une leçon qu’il avait donnée d’une manière fort piquante au jeune Louis XIV, avec lequel il jouait chez le cardinal Mazarin. Ayant beaucoup perdu, le chevalier se trouvait devoir au jeune monarque une somme considérable, qui d’après la convention du jeu ne devait être payée qu’en louis d’or. Il lui en compta sept ou huit cents, puis il y ajouta deux cents pistoles d’Espagne : le roi ne voulut pas les recevoir et dit qu’il lui fallait des louis. Le chevalier saisit alors brusquement les pistoles et les jeta par la fenêtre en s’écriant : « Puisque Votre Majesté ne les veut pas, elles ne sont bonnes à rien. » Louis XIV, mortifié, se plaignit au cardinal, qui lui répliqua : « Sire, le chevalier de Rohan a joué en roi, et vous, en chevalier de Rohan. » Mais ses galanteries et ses désordres compromirent le jeune chevalier et finirent par le perdre. Il poursuivit tour à tour de ses assiduités de grandes dames et des femmes sans considération. Il eut les bonnes grâces