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maintenant de mettre à la tête du mouvement que les deux conspirateurs se flattaient de provoquer, quelque autre personnage de haute naissance. Latréaumont prononça le nom du chevalier Louis de Rohan, dont il était l’ami et dont il s’était fait le commensal, car il mangeait le plus souvent à sa table et il avait logé quelque temps avec lui à la Place-Royale. Exerçant sur ce prince beaucoup d’ascendant, il ne doutait pas qu’il ne réussît à le faire entrer dans ses projets. Il y avait déjà longtemps que le ressentiment que le chevalier de Rohan et Latréaumont nourrissaient contre Louis XIV et son gouvernement, les avait rapprochés. Le gentilhomme normand s’était ouvert au chevalier sur un plan de complot plus ou moins en l’air analogue à celui que Van den Enden travaillait à ourdir, et dont il s’était entretenu avec ce dernier à Amsterdam. Il avait même été déjà question entre Lautréaumont et son patron de faire soulever la Normandie. Cela fit entre eux le sujet de divers entretiens lorsqu’ils se trouvaient en Bavière, où ils avaient été pour un temps se mettre à l’abri de la suite des mauvaises affaires qu’ils s’étaient l’un et l’autre attirées. Le chevalier de Rohan s’était rendu à Munich, après avoir dû quitter la cour, où son caractère orgueilleux et emporté lui avait fait de nombreux ennemis. Voici ce que rapporte La Fare dans ses Mémoires : « Le chevalier de Rohan était capable de mauvais procédés, comme il le fit voir dans une affaire qu’il eut avec M. le chevalier de Lorraine, qui valait mieux que lui, car il osa avancer qu’un jour étant à cheval, il l’avait frappé de sa canne, chose dont il s’est dédit après beaucoup de menteries avérées. » Beauvau a mentionné le même fait, après avoir raconté en quelques lignes la conspiration, dont nous retraçons ici l’histoire détaillée : « Quelques mois auparavant la découverte de cette conspiration, le chevalier de Rohan était venu avec Latréaumont à Munich incognito, dans le dessein de s’y réfugier, à cause d’un démêlé qu’il avait eu avec le chevalier de Lorraine, à qui il se vantait d’avoir donné des coups de canne. On disait qu’il ne voulait pas retourner en France craignant d’être arrêté et obligé de se dédire d’un discours qui paraissait si peu vraisemblable. Son altesse électorale de Bavière n’ayant point voulu leur accorder la permission de rester dans ses états, de peur de désobliger le roi très chrétien, ils furent contraints de se retirer à Augsbourg, jusqu’à ce que cette affaire fût accommodée en France. Dans le peu de séjour qu’ils firent à Munich, on remarqua par divers de leurs discours, qu’ils avaient le cœur ulcéré contre sa majesté. » Ces deux témoignages sont pleinement confirmés par la déclaration que fit, dans un de ses interrogatoires, le chevalier de Préau, neveu de Latréaumont et qui devait subir le même sort que le